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dimanche 15 décembre 2013

Message du Père José Narlaly pour le 8ème centenaire de la mort de saint Jean de Matha, fondateur des Trinitaires




Alors que nous approchons de la grande solennité de la Nativité de notre Seigneur et du VIIIème centenaire de la mort de saint Jean de Matha, je désire saluer avec joie et un sentiment profond d’amour fraternel chacun d’entre vous. 

Mon regard se tourne aussi vers la Sainte Trinité de qui procède le Verbe incarné, notre Rédempteur, et vers les captifs et les pauvres d’aujourd’hui. Récemment, nous avons reçu le don précieux d’un décret qui rétablit le nom complet de l’Ordre comme ORDRE DE LA TRES SAINTE TRINITE ET DES CAPTIFS. 

Nous venons en outre de célébrer la béatification de six de nos frères martyrs espagnols. Voici quelques-unes des faveurs spéciales accordées à notre famille religieuse afin de nous rappeler une fois de plus la dignité et la pertinence de notre vocation trinitaire en ce XXIème siècle. Je voudrais donc maintenant partager avec vous quelques réflexions sur la deuxième partie de notre titre - "… et des captifs".

En ce moment historique dans lequel nous vivons, le drame de la persécution des chrétiens est flagrant et fait presque chaque jour la une. Des figures prophétiques comme celle de notre bien-aimé pape François se confrontent sans cesse et répondent avec passion à la réalité d’une pauvreté scandaleuse et de l'injustice dans le monde où des millions de personnes sont encore privés de leur dignité et de leur liberté malgré toutes les ressources humaines, les moyens de communication et de transport que dispose la société moderne. 

Le Saint-Père ne ménage guère ses paroles et ses actes afin d’annoncer les valeurs évangéliques proclamant clairement la suprématie de Dieu et la primauté de la dignité de tout être humain. De même, il dénonce avec audace et avec une indignation prophétique le mal de la cupidité personnelle et sociale, le consumérisme incontrôlé et l'indifférence immorale face au cri indescriptible de la souffrance humaine et de la privation. La nécessité d'une réelle solidarité humaine est un message fort et constant du pape François adressé à la communauté catholique et à l’humanité tout entière.

En relisant les signes des temps, spécialement les réalités mentionnées ci-dessus, je me sens obligé de rappeler dans ce contexte la personne et le message de notre fondateur, saint Jean de Matha, et de notre réformateur, saint Jean-Baptiste de la Conception. Ils ont été eux aussi des figures prophétiques de leur temps. Tous deux ont abandonné leur confort et se sont dépouillés de leur ego et de leur orgueil pour se rapprocher des pauvres et des captifs. Leur sens de la solidarité avec l'humanité défigurée et brisée a été un défi pour leur statu quo et ils se sont faits un avec les victimes de l'injustice et de l'oppression. Ils ont embrassé et ont préconisé un style de vie simple et austère afin de pouvoir partager avec ceux qui se trouvaient dans la pauvreté et la misère. La règle trinitaire est marquée par une multitude de normes touchant la charité: la charité envers nos frères et sœurs de la communauté et la charité envers ceux qui sont ignorés et exclus par la société. 

Poussé par une ardente charité, le fondateur nous demande dans sa règle de nous priver d’un certain confort et de certaines commodités de sorte que ceux qui sont privés de l’essentiel puissent en bénéficier. La pauvreté trinitaire et l’esprit de sacrifice ont comme finalité la rédemption et le soulagement de ceux qui pâtissent la pauvreté, la souffrance et la captivité. Ainsi arriverons nous à percevoir l’actualité de notre titre: «... et des captifs». Commentant la pensée de notre pape qui insiste tellement sur une vie de pauvreté et de sacrifice, l’archevêque théologien argentin, Victor Fernandez dit: «Il ne s’agit pas de l'amour du sacrifice pour le sacrifice ou l'obsession de l'austérité, mais de dépouillement intérieur pour laisser au centre de notre vie la place à Dieu et aux autres».

Les Trinitaires ont été fondés pour la rédemption ou le rachat de ces captifs dont la foi était en danger. Ainsi la mission principale et universelle de l'Ordre est l'activité du rachat mais chaque communauté a aussi sa propre œuvre locale de miséricorde. Ceci est fondamental pour notre vocation et central pour notre mission. Rempli et fortifié par une profonde expérience de Dieu Trinité, le trinitaire enraciné dans sa communauté et accompagné par elle, avance avec générosité et passion vers ces frontières où nos frères et sœurs souffrent de différentes formes de captivité et de persécution surtout pour leur foi chrétienne. Alors que certains frères s'aventurent dans la mission, les autres membres de la communauté s’associent à eux dans un esprit de prière et de sacrifice tout en s'engageant dans l’œuvre de miséricorde locale. L'esprit de la «tertia pars» dans notre règle, présenté dans son plus long chapitre, prend sens quand nous comprenons notre mission. 

Pourquoi la règle demande-t-elle de mettre à part une part substantielle de nos revenus pour les captifs et les pauvres ? Parce qu’ils sont les fils et filles privilégiés de Dieu, ils sont les victimes de la cupidité excessive et du consumérisme incontrôlé et parce qu’ils sont nos frères et sœurs. Comme Trinitaires nous sommes appelés à être solidaires avec eux. Sans notre engagement personnel et communautaire dans la vie et le destin des captifs, des pauvres et des malades, notre vocation trinitaire demeure incomplète.

Outre la règle, notre saint fondateur nous a laissé un autre héritage précieux, une autre image forte de notre vocation et mission. Il s'agit de la mosaïque du Christ Pantocrator entouré de deux captifs enchaînés et tenues par ses mains. Le Christ glorieux libère les deux captifs entravés par des chaînes et privés de nourriture et de vêtements nécessaires. Dans cette icône, non seulement le Christ est baigné dans l'or de la Gloire de Dieu, mais aussi les captifs. Ces deux êtres brisés appartenant à des races différentes, représentent l'humanité dans sa diversité religieuse, culturelle et ethnique. Ils sont tout deux privés de leur dignité et de leur liberté. 

Le Christ est si proche d'eux qu'il peut les prendre par la main. C'est lui qui les restaure dans leur dignité perdue et leur liberté. Autour de la mosaïque on peut lire ces mots: L'ORDRE DE LA SAINTE TRINITE ET DES CAPTIFS. Dans cette mosaïque, le Christ, image du Dieu invisible, est au centre entouré immédiatement de deux captifs et dans la périphérie se trouve l'Ordre. Pour comprendre et vivre notre vocation trinitaire, nous devons donner la première place à Dieu un et trine, puis aux captifs, aux pauvres et en dernière position à nous-mêmes. Saint Jean-Baptiste de la Conception, notre Réformateur cherchait et favorisait passionnément l’union intime avec Dieu et les pauvres:

"Oh, mon Dieu ! Laisse-moi t’aimer d’un grand amour et aimer d’un grand amour tes pauvres ! Bien que je ne mérite pas d'entrer en une telle compagnie, Toi, qui es miséricordieux et qui goûtes à ce que toutes tes œuvres soient parfaites et complètes, tu veux m’y faire entrer afin d’être trinité: Dieu, le pauvre de biens matériels, et moi, pauvre de biens spirituels. Pour qu’étant une trinité parfaite: un en essence et trine de personnes, pour que nous soyons toi, Seigneur, le pauvre et moi, trois personnes – nous ne fassions qu’une seule et même chose; que nous soyons une unité dans l’union parfaite, comme tu l’as opérée dans les âmes qui t’aiment et te chérissent". (Obras completas, III, 87)

Au cours de notre année jubilaire, nous avons la grâce de faire mémoire de nos Patriarches et Pères fondateurs et réformateur. Leur esprit et leur message nous réveille et nous pousse à nous approprier notre vocation et notre propre charisme, de sorte qu'il y ait un esprit renouvelé au sein de notre famille religieuse. La Sainte Trinité nous a donné une vocation inestimable et un charisme et ce don est intimement lié à notre amour et à notre solidarité pour les pauvres et les captifs d’aujourd'hui. Nous ne pouvons nous permettre de rester indifférents au sort des pauvres et des persécutés. 

Le Saint-Père continue à éveiller la conscience de l’Eglise sur ces besoins. Nos pères, Jean de Matha et Jean-Baptiste de la Conception, avec amour et sollicitude, nous demandent d’ouvrir les yeux, le cœur et les communautés à la réalité qui nous entoure et dans le monde. Encore une fois, écoutons la supplique de notre réformateur: «Accueillons avec amour cette invitation que Dieu nous fait de protéger et d’aimer les pauvres dont le monde ne veut pas en entendre parler et pour cela il est aveugle, il se perd, car celui qui perd de vue le pauvre, est perdu» (Obras completas, III, 79).

Dans ce contexte, permettez-moi d'exprimer ma joie et ma satisfaction de voir tant de nos frères et sœurs qui s’engagent généreusement à assister les pauvres et les captifs dans les différents pays où nous sommes présents. Même si nous avons quelques frères qui sont plus attentifs aux besoins des chrétiens persécutés, nous désirons promouvoir une plus grande participation à ce ministère. Dans ce domaine, la famille à travers l’organisme SIT a un rôle central et crucial à jouer pour une plus grande prise de conscience de la détresse de ceux qui sont persécutés à cause de leur foi en Christ. Notre engagement au SIT doit être réel et substantiel.

En outre, nous comptons sur nos sœurs contemplatives qui soutiennent notre apostolat par leurs prières et leurs sacrifices; certains monastères aident aussi matériellement les pauvres. Un bon nombre de nos religieuses des différents instituts et de nombreux membres de notre laïcat rendent un service zélé aux pauvres et aux nécessiteux. Nos frères et sœurs qui sont en prison dans plusieurs pays bénéficient de notre présence et de notre attention. 

Un autre lieu où passe un beau témoignage trinitaire est le réfectoire populaire et autre centre où nous nourrissons matériellement et spirituellement nos frères et sœurs indigents. Nos bienfaiteurs et sympathisants continuent à nous soutenir généreusement dans notre apostolat en faveur des laissés-pour-compte. Les innombrables captifs rachetés par la famille trinitaire au cours des siècles sont un bon tribut à notre titre "…et des captifs. "

Je vous remercie pour votre merveilleux témoignage et votre générosité. Avec une affection fraternelle, je salue tous les captifs et les prisonniers, les pauvres et les malades que nous servons. S’il y avait un manque d'enthousiasme et de ferveur chez un membre ou communauté de notre famille, concernant les pauvres et les captifs, je saisis cette occasion pour vous encourager à participer encore plus activement afin d’incarner notre charisme partout où la famille trinitaire est présente. Allons toujours plus vers les captifs d'aujourd'hui avec un esprit fraternel et un sens renforcé de la solidarité en réaffirmant notre merveilleux charisme. 

Efforçons nous à ce que toutes les dimensions de notre vie spirituelle, communautaire, formative, apostolique, administrative, de gouvernement s’interpénètrent et soient marquées par notre sceau: Gloire à la Trinité et la liberté aux captifs ! Dans ce contexte, «la caisse de la rédemption» rétablit par le Chapitre général extraordinaire de 1999 comme un des moyens concrets pour vivre notre amour pour les pauvres et les prisonniers, devra être renforcé là où elle existe et rétablit là où elle n’existe pas encore.

Une fois convaincus de notre noble vocation et de notre charisme et conscients des défis actuels, en particulier ceux qui concernent la triste situation des pauvres et des persécutés, ceci nous motivera à vivre notre vocation avec une plus grande transparence et avec plus d'authenticité. Il nous aidera à vivre un partage entre nous et envers ceux qui sont dans le besoin. Malheureusement, nous ne sommes pas exempts de la tentation de nous refermer en nous-mêmes et de demeurer dans notre confort. Nous avons également besoin d'être libérés de ces chaînes qui nous emprisonnent. Avec un cœur et les mains toujours ouvertes, nous allons redécouvrir la joie de vivre comme des frères et sœurs et de partager même le peu que nous avons avec les pauvres et les nécessiteux. Les pauvres et ceux qui souffrent, continuent à réclamer notre attention et générosité. 

S'il y avait parmi nous une tendance à céder à une forme de cupidité et de consumérisme, à accumuler de l'argent et les choses, tant matériel que spirituel, seulement pour nous-mêmes, oubliant ainsi la norme de la propriété commune («sine proprio»), laissons nous nous confronter pendant cette année jubilaire. L’Esprit de Dieu, le message de nos premiers pères, le cri des « derniers » et la restauration du titre complet de l'Ordre devraient nous inciter à accueillir ce qui est utile afin de vivre fidèlement notre vocation et de rejeter tout ce qui nuirait à notre fraternité au sein de l'ensemble de nos communautés et va à l'encontre de notre solidarité avec les victimes de l'oppression et de l'injustice.

Notre-Dame du Bon Remède nous offre le Remède en son divin Fils, Jésus, le Rédempteur, le prix de notre rédemption. Nos saints Pères et tous les saintes et saints de notre famille trinitaire, notamment nos martyrs récemment béatifiés, se sont donnés généreusement pour vivre l'esprit du ET CAPTIVORUM. Maintenant, ils nous invitent à nous joindre à eux dans le sacrifice de nos vies aujourd’hui.

De tout cœur, je vous souhaite à tous une très heureuse fête de notre Patriarche et une joyeuse fête de Noël.

Fraternellement,
Jose Narlaly, O.SS.T.
Ministre général