Alors que je priais et réfléchissais sur le message
à envoyer à la Famille Trinitaire pour la prochaine solennité de la Sainte
Trinité, j’ai été inspiré par un passage de l'évangile de Luc (24, 13-35). Dans
cette péricope, deux disciples de Jésus quittent Jérusalem après la mort de
leur ami et maître et se rendent à un village non loin de là. Ils cheminaient
abattus par la douleur, le chagrin et la confusion. «Jésus s’approcha d’eux et
marcha avec eux» sur la route d’Emmaüs. Un moment difficile pour les deux
disciples qui avaient placé leur espoir et leur foi en ce Jésus de Nazareth qui
avait été arrêté, condamné, torturé et crucifié deux jours plus tôt. Après les
récents événements qui ont provoqué la fin tragique de Jésus, ils ont été
déçus, «et nous qui espérions qu’il libérerait Israël.. ».
A la dernière Cène, Jésus a donné à ses disciples
un remède au doute: «Il prit le pain... le rompit, et le leur donna, en disant:
Ceci est mon corps... faites ceci en mémoire de moi» (Lc 22, 19).
Parfois, certain pourrait s’identifier à ces
disciples tout particulièrement en ces heures de souffrances et de persécutions
de l’Eglise, de défis pour la vie consacrée. Vue l’ampleur de leur déception,
nous pourrions affirmer qu’ils fuyaient Jérusalem, lieu de la passion et de la
crucifixion de Jésus. Cependant, tandis qu’il leur parlait sur la route, leurs
«cœurs brûlaient» en eux!
L’apparition de Jésus, sa présence, ses mots et sa
convivialité suscite en eux un sursaut qui change leur vie. Avec des cœurs
ardents, ils retournent en hâte vers leurs frères de Jérusalem, à la communauté
des Onze partager la bonne nouvelle de leur rencontre avec le Seigneur
ressuscité! Leur joie retrouvée et leur espérance ravivée, ranime l’espérance
et renouvelle la joie et l'enthousiasme des «Onze et ceux qui étaient avec
eux... à leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route et
comment il l’avait reconnu à la fraction du pain». Ce passage de l'Evangile est
pertinent pour nous, qui cherchons à intensifier notre recherche et notre
expérience du Dieu trinitaire et ainsi raviver notre vie personnelle et
communautaire.
L’expérience des disciples d'Emmaüs et des Onze à
Jérusalem éclaire notre vie trinitaire et communautaire comme membres d’une
même famille. Jésus, la deuxième personne de la Sainte Trinité, est au centre
des événements et le sujet de conversation de ce passage évangélique.
Mes chers frères, le Dieu trinitaire est au cœur de
nos communautés, de nos familles et de nos fraternités. La marque ultime et la
caractéristique de toute communauté chrétienne, de toute fraternité et de toute
famille est la présence de Dieu en son sein. La place centrale de l’Eucharistie
pour notre vie est évidente dans ce passage du fait que les disciples le
reconnurent à la fraction du pain. C’est au cours de la "fraction du
pain" - l'Eucharistie - que notre Père et
fondateur saint Jean de Matha a reçu son inspiration fondant ainsi notre
famille religieuse. En cela, nous sommes invités à nous tourner vers le
Seigneur eucharistique de manière à être renouvelés et renforcés dans notre vie
chrétienne et trinitaire de consécration et de mission.
En apprenant que le pape François commence sa
journée par une heure de prière silencieuse et d’adoration devant
l’Eucharistie, je ne peux m’empêcher d’inviter et d’encourager tous les membres
de notre Famille Trinitaire à commencer leur journée par un temps d’adoration
devant le Saint-Sacrement. Certes il est facile de s’excuser en prétextant que
nous sommes submergés de travail et que nous avons besoin d’un peu plus de
repos, pourtant nous savons que le temps passé avec le Seigneur présent dans
l'Eucharistie renforce nos liens avec la Trinité Sainte et avec nos frères,
rendant ainsi plus efficace notre ministère et notre mission.
La scène des deux disciples d'Emmaüs et de Jésus à
table pour le repas du soir et de la fraternité me rappelle l'institution de
l’Eucharistie dans la salle haute (salle à manger). Je n’ai pas besoin de vous
redire, chers frères, combien il est essentiel de nourrir notre vie fraternelle
dans la communion de la table. Les membres de la famille et les amis partagent
la même table, la même nourriture et la même boisson. Le repas commun favorise
la conversation, le partage et le sentiment d'appartenance à la même famille et
à la même communauté. Une table conviviale est non seulement nourrissante mais
est un moment de détente, d’écoute et de partage, de sorte qu'on en sort
renforcée à la fois physiquement et fraternellement.
Un autre aspect important de l’expérience d’Emmaüs
est la communion et la communication entre les deux disciples. Ils quittent
ensemble Jérusalem et y retournent, là ils y retrouvent les Onze réunis.
Jérusalem est le lieu de la rencontre des disciples, des événements de la Pâque
de Jésus, de l'institution de l'Eucharistie, de la réception de l'Esprit Saint,
et de l’envoi en mission des disciples. Tous nos voyages personnels et
apostoliques doivent commencer et se terminer là où le Seigneur nous attend.
Une fois rejoint par Jésus, le voyage des disciples acquiert un sens nouveau,
une couleur et une tonalité nouvelles. Accueillir Jésus dans nos communautés et
lui permettre d’y demeurer sont essentiels pour notre cheminement de vie.
L'écoute de Jésus parlant à nos cœurs supprimera en nous toute tristesse et
tout découragement faisant place à un nouvel enthousiasme dans notre vie et
mission.
Membres d’une même communauté nous devrions
partager sur les événements de notre journée et nos expériences de foi comme on
expose les aléas d’un voyage ou d’un pèlerinage. C’est dans ce partage profond
avec le frère que notre vie deviendra plus joyeuse et plus lumineuse. Il n’est
jamais trop tard pour enrichir notre vie en nous livrant toujours plus dans un
partage de foi.
L'Eglise naissante de Jérusalem après avoir reçu le
don de l'Esprit Saint à la Pentecôte, a dû composer avec une réalité
multiculturelle. "Or il y avait demeurant à Jérusalem, des hommes dévots,
de toutes les nations qui sont sous le ciel» (Ac 2, 5). Avec l'aide du Saint-Esprit,
Pierre et ses compagnons, tous galiléens, ont pu témoigner à un auditoire
multilingue et multiculturel. Ce fait me rappelle la réalité que nous vivons
aujourd'hui au sein de notre Eglise et même de notre propre famille religieuse.
Cette réalité est à la fois, pour nous tous, un grand don et un immense défi à
relever. Nous devons, avec une grande ouverture d’esprit, nous préparer à
accueillir des frères provenant d'autres horizons, d’autres cultures et parlant
d’autres langues. Toutes les races et toutes les nations sont appelées à
bénéficier et à annoncer le même Christ et le même Evangile.
De même, la grande diversité culturelle des membres
de la famille trinitaire ayant hérité la même vocation et le même charisme est
de plus en plus un fait. Dans le scénario actuel de rapides changements
géographique et culturel qui se produisent au sein de l’Ordre et de la Famille,
nous devrons toujours plus œuvrer à la communion et viser la collaboration.
Dans l'échange de personnel comme dans le partage des ressources, seul le
trinitaire fidèle et cohérent contribuera et apportera une aide. Toutefois
chacun de nous porte des traits positifs et négatifs. Nous pouvons ainsi
devenir soit des promoteurs de vie soit des porteurs de décadence et cela où
que nous soyons. Il est donc impératif d’utiliser tous les moyens à notre
disposition pour favoriser la qualité de notre consécration et de notre
engagement, sinon, nous risquons de nous infecter les uns les autres par notre
influence négative ou nos comportements médiocres. Dans nos efforts en vue de
promouvoir une plus grande collaboration et communion entre les différentes
juridictions, instituts et associations de la Famille, il est primordial de
nous reconnaître avant tout Trinitaires, les origines nationales ou culturelles
passant en second plan.
Découvrir la présence de Dieu dans les nombreuses
circonstances ordinaires de la vie, continuer à lui faire confiance, même quand
il semble absent, peut être difficile. Cependant, si nous lui permettons de
nous rejoindre sur notre route, cherchant à intensifier notre amitié avec lui,
en écoutant ce qu’il aura à dire à nos cœurs, nous éprouverons une joie et un
enthousiasme renouvelés. Face aux épreuves et aux déceptions, nous ne pouvons
fuir nos engagements. Une vie d’authentique communication et de communion avec
nos frères, au-delà de nos différences, enrichira et améliorera notre vie
trinitaire.
Comme Jésus se rend présent aux disciples sur le
chemin d'Emmaüs, nous pourrions le rendre présent sur nos routes et nous
pourrions mieux nous connaître les uns les autres et construire ainsi une
authentique fraternité. Ce n’est que dans un climat de confiance, que nous
pourrons partager nos expériences de vie, Evangile incarné, proclamé et
témoigné.
Parfois, ce processus peut prendre du temps. Mais
tôt ou tard, nous reconnaîtrons le moment venu. Comment pouvons-nous témoigner
les uns aux autres l’œuvre de Dieu en nos vies ? Dans la prière, nous trouvons
des points de convergence entre notre histoire et celle de nos frères. C’est
dans la fraction du pain de nos vies que nous découvrirons ce que nous avons à
partager et comment le faire.
Que le Seigneur nous accorde la grâce nécessaire
pour cheminer ensemble et que nos cœurs restent ouverts à ses enseignements
tout au long du chemin et partager l’amour qu’il met en nos cœurs.
Je vous souhaite une joyeuse fête de la Très Sainte
Trinité!
Fraternellement
Rome, 11 mai 2015
Mémoire du bienheureux Dominique du Très Saint
Sacrement
Fr. Jose Narlaly, O.SS.T.,
Ministre général