Près de mille ans après le schisme entre chrétiens d'Orient et
d'Occident, les chefs de file des deux Églises, le pape François et le
Patriarche Kirill, se sont rencontrés pour la première fois à Cuba.
Parfois l'histoire a le chic d'offrir des raccourcis fulgurants.
Un sourire, une poignée de main, quelques petites secondes et s'effritent des
siècles de conflits. Ainsi du sommet historique, vendredi soir 12 février
à Cuba, entre le pape catholique et le plus puissant des responsables de l'Eglise orthodoxe, le patriarche Kirill de Moscou. Dans un des salons
de l'aéroport Jose Marti de La Havane, ils se sont chaleureusement salués
et embrassés. François, les traits tirés après ses douze heures de vol depuis
Rome, était visiblement ravi d'être là. Kirill, d'ordinaire le visage fermé,
était, lui aussi, extrêmement souriant.
«Finalement!» a lancé le pape François en s'approchant de Kirill
qui, très bienveillant, lui a rétorqué: «Les choses seront plus faciles à
présent…» Et le pape catholique d'observer, devant l'immense crucifix fixé
derrière les deux fauteuils où ils devaient s'entretenir: «Nous sommes tous des
hommes. Il est très clair que cette rencontre est la volonté de Dieu.»
Ces deux éminents chrétiens ne sont toutefois pas allés jusqu'à
prier ensemble, du moins en public, comme l'avaient fait François et l'autre
grand patriarche de l'orthodoxie, Bartholomé de Constantinople, en mai 2014, à
Jérusalem, dans la basilique du Saint-Sépulcre. De même, le Pape ne s'est pas
publiquement profondément incliné devant le religieux russe, un geste de
déférence très frappant qu'il avait osé devant le patriarche Bartholomée à
Istanbul, en novembre 2014.
Déclaration commune
Reste que cette rencontre cubaine avec «mon frère Kirill» comme
l'a qualifié le Pape en quittant Rome - a été marquée par une impressionnante
empathie qui marque un dégel décisif des relations orthodoxes-catholiques même
s'il faudra beaucoup de temps pour colmater des blessures encore très vives…
Sur la question ukrainienne notamment, qui oppose frontalement l'Église
gréco-catholique, unie à Rome, à l'Eglise orthodoxe russe.
Ce sujet, comme beaucoup d'autres dont l'écologie, les deux
chefs d'Église devaient en parler, mais l'objet de ce rendez-vous, pensé à
Cuba, en «terre neutre», entendez non catholique, sur le trajet du pape françois pour le Mexique, était bien, en ce début de
millénaire, sa portée historique. Jamais dans l'histoire chrétienne un
patriarche russe n'avait encore rencontré le pape de Rome! Le divorce entre ces
deux Églises chrétiennes date de 1054…
Ce qui explique que les deux hommes ont pris le temps de
s'entretenir longuement - deux heures - pour faire connaissance. De mémoire de
prélats jamais un pape n'a accordé une telle durée à une personnalité lors
d'une visite au Vatican ou à l'étranger, sinon à titre privé. À côté de cette
conversation hors norme, la «déclaration commune» que les deux responsables
devaient signer avant de se séparer demeurera aussi l'acquis tangible de ce
sommet.
À l'image d'une autre «déclaration commune» signée avec le
patriarche de Constantinople en mai 2014, ce texte devait insister sur le drame
des chrétiens de Terre sainte fauchés par les islamistes de Daech. C'est
d'ailleurs la clé de ce rapprochement entre le patriarcat russe et le Vatican,
car la Russie cherche actuellement à sortir de son isolement diplomatique lié à
son soutien du régime de Damas en Syrie.
En novembre 2014, la déclaration commune signée avec le patriarche
de Constantinople évoquait ainsi «l'œcuménisme de la souffrance». Catholiques
et orthodoxes lançaient alors un appel pour réveiller «l'indifférence» face à
«la terrible situation des chrétiens». Il est très probable que le ton de cette
déclaration cubaine - qui a été toutefois très difficile à mettre au point
jusqu'à la dernière minute - monte d'un cran dans cette dénonciation, car
le sort des chrétiens de Terre sainte s'est considérablement aggravé.
Cette poignée de main sous les tropiques sera-t-elle suivie par
une seconde à venir dans la capitale russe? Sur place, les esprits ne sont pas
encore mûrs mais tout est prêt dans l'esprit de François. À Cuba, il a
clairement posé les fondations d'un nouveau pont entre Rome et Moscou.
Déclaration commune du Pape François et du Patriarche Kirill de
Moscou et de toute la Russie
«La grâce de Notre Seigneur Jésus Christ, l'amour de Dieu le
Père et la communion du Saint-Esprit soit avec vous tous» (2 Co 13, 13).
1. Par la volonté de Dieu le Père de qui vient tout don, au nom
de Notre Seigneur Jésus Christ et avec le secours de l'Esprit Saint
Consolateur, nous, Pape François et Kirill, Patriarche de Moscou et de toute la
Russie, nous sommes rencontrés aujourd'hui à La Havane. Nous rendons grâce à
Dieu, glorifié en la Trinité, pour cette rencontre, la première dans
l'histoire.
Avec joie, nous nous sommes retrouvés comme des frères dans la
foi chrétienne qui se rencontrent pour se «parler de vive voix» (2 Jn 12), de
coeur à coeur, et discuter des relations mutuelles entre les Eglises, des
problèmes essentiels de nos fidèles et des perspectives de développement de la
civilisation humaine.
2. Notre rencontre fraternelle a eu lieu à Cuba, à la croisée
des chemins entre le Nord et le Sud, entre l'Est et l'Ouest. De cette île,
symbole des espoirs du «Nouveau Monde» et des événements dramatiques de
l'histoire du XXe siècle, nous adressons notre parole à tous les peuples
d'Amérique latine et des autres continents.
Nous nous réjouissons de ce que la foi chrétienne se développe
ici de façon dynamique. Le puissant potentiel religieux de l'Amérique latine,
sa tradition chrétienne séculaire, réalisée dans l'expérience personnelle de
millions de personnes, sont le gage d'un grand avenir pour cette région.
3. Nous étant rencontrés loin des vieilles querelles de
l'«Ancien Monde», nous sentons avec une force particulière la nécessité d'un
labeur commun des catholiques et des orthodoxes, appelés, avec douceur et
respect, à rendre compte au monde de l'espérance qui est en nous (cf. 1 P 3,
15).
4. Nous rendons grâce à Dieu pour les dons que nous avons reçus
par la venue au monde de son Fils unique. Nous partageons la commune Tradition
spirituelle du premier millénaire du christianisme. Les témoins de cette
Tradition sont la Très Sainte Mère de Dieu, la Vierge Marie, et les saints que
nous vénérons. Parmi eux se trouvent d'innombrables martyrs qui ont manifesté
leur fidélité au Christ et sont devenus «semence de chrétiens».
5. Malgré cette Tradition commune des dix premiers siècles,
catholiques et orthodoxes, depuis presque mille ans, sont privés de communion
dans l'Eucharistie. Nous sommes divisés par des blessures causées par des
conflits d'un passé lointain ou récent, par des divergences, héritées de nos
ancêtres, dans la compréhension et l'explicitation de notre foi en Dieu, un en
Trois Personnes - Père, Fils et Saint Esprit. Nous déplorons la perte de
l'unité, conséquence de la faiblesse humaine et du péché, qui s'est produite
malgré la Prière sacerdotale du Christ Sauveur: «Que tous soient un. Comme toi,
Père, tu es en moi et moi en toi, qu'eux aussi soient un en nous» (Jn 17, 21).
6. Conscients que de nombreux obstacles restent à surmonter,
nous espérons que notre rencontre contribue au rétablissement de cette unité
voulue par Dieu, pour laquelle le Christ a prié. Puisse notre rencontre
inspirer les chrétiens du monde entier à prier le Seigneur avec une ferveur
renouvelée pour la pleine unité de tous ses disciples! Puisse-t-elle, dans un
monde qui attend de nous non pas seulement des paroles mais des actes, être un
signe d'espérance pour tous les hommes de bonne volonté !
7. Déterminés à entreprendre tout ce qui nécessaire pour
surmonter les divergences historiques dont nous avons hérité, nous voulons unir
nos efforts pour témoigner de l'Evangile du Christ et du patrimoine commun de
l'Eglise du premier millénaire, répondant ensemble aux défis du monde
contemporain. Orthodoxes et catholiques doivent apprendre à porter un
témoignage unanime à la vérité dans les domaines où cela est possible et
nécessaire. La civilisation humaine est entrée dans un moment de changement
d'époque. Notre conscience chrétienne et notre responsabilité pastorale ne nous
permettent pas de rester inactifs face aux défis exigeant une réponse commune.
8. Notre regard se porte avant tout vers les régions du monde où
les chrétiens subissent la persécution. En de nombreux pays du Proche Orient et
d'Afrique du Nord, nos frères et soeurs en Christ sont exterminés par familles,
villes et villages entiers. Leurs églises sont détruites et pillées de façon
barbare, leurs objets sacrés sont profanés, leurs monuments, détruits. En
Syrie, en Irak et en d'autres pays du Proche Orient, nous observons avec
douleur l'exode massif des chrétiens de la terre d'où commença à se répandre notre
foi et où ils vécurent depuis les temps apostoliques ensemble avec d'autres
communautés religieuses.
Nous appelons la communauté internationale à des actions
urgentes pour empêcher que se poursuive l'éviction des chrétiens du Proche
Orient.
9. Nous appelons la communauté internationale à des actions
urgentes pour empêcher que se poursuive l'éviction des chrétiens du Proche
Orient. Elevant notre voix pour défendre les chrétiens persécutés, nous
compatissons aussi aux souffrances des fidèles d'autres traditions religieuses
devenus victimes de la guerre civile, du chaos et de la violence terroriste.
10. En Syrie et en Irak, la violence a déjà emporté des milliers
de vies, laissant des millions de gens sans abri ni ressources. Nous appelons
la communauté internationale à mettre fin à la violence et au terrorisme et,
simultanément, à contribuer par le dialogue à un prompt rétablissement de la
paix civile. Une aide humanitaire à grande échelle est indispensable aux
populations souffrantes et aux nombreux réfugiés dans les pays voisins.
Nous demandons à tous ceux qui pourraient influer sur le destin
de ceux qui ont été enlevés, en particulier des Métropolites d'Alep Paul et
Jean Ibrahim, séquestrés en avril 2013, de faire tout ce qui est nécessaire pour
leur libération rapide.
11. Nous élevons nos prières vers le Christ, le Sauveur du
monde, pour le rétablissement sur la terre du Proche Orient de la paix qui est
«le fruit de la justice» (Is 32, 17), pour que se renforce la coexistence
fraternelle entre les diverses populations, Eglises et religions qui s'y
trouvent, pour le retour des réfugiés dans leurs foyers, la guérison des
blessés et le repos de l'âme des innocents tués.
Nous adressons un fervent appel à toutes les parties qui peuvent
être impliquées dans les conflits pour qu'elles fassent preuve de bonne volonté
et s'asseyent à la table des négociations.
Nous adressons un fervent appel à toutes les parties qui peuvent
être impliquées dans les conflits pour qu'elles fassent preuve de bonne volonté
et s'asseyent à la table des négociations. Dans le même temps, il est
nécessaire que la communauté internationale fasse tous les efforts possibles
pour mettre fin au terrorisme à l'aide d'actions communes, conjointes et
coordonnées. Nous faisons appel à tous les pays impliqués dans la lutte contre
le terrorisme pour qu'ils agissent de façon responsable et prudente. Nous
exhortons tous les chrétiens et tous les croyants en Dieu à prier avec ferveur
le Dieu Créateur du monde et Provident, qu'il protège sa création de la
destruction et ne permette pas une nouvelle guerre mondiale. Pour que la paix
soit solide et durable, des efforts spécifiques sont nécessaires afin de
redécouvrir les valeurs communes qui nous unissent, fondées sur l'Evangile de
Notre Seigneur Jésus Christ.
12. Nous nous inclinons devant le martyre de ceux qui, au prix
de leur propre vie, témoignent de la vérité de l'Evangile, préférant la mort à
l'apostasie du Christ. Nous croyons que ces martyrs de notre temps, issus de
diverses Eglises, mais unis par une commune souffrance, sont un gage de l'unité
des chrétiens. A vous qui souffrez pour le Christ s'adresse la parole de
l'apôtre: «Très chers!… dans la mesure où vous participez aux souffrances du
Christ, réjouissez-vous, afin que, lors de la révélation de Sa gloire, vous
soyez aussi dans la joie et l'allégresse» (1 P 4, 12-13).
Aucun crime ne peut être commis au nom de Dieu, «car Dieu n'est
pas un Dieu de désordre, mais de paix».
13. En cette époque préoccupante est indispensable le dialogue
interreligieux. Les différences dans la compréhension des vérités religieuses
ne doivent pas empêcher les gens de fois diverses de vivre dans la paix et la
concorde. Dans les circonstances actuelles, les leaders religieux ont une
responsabilité particulière pour éduquer leurs fidèles dans un esprit de
respect pour les convictions de ceux qui appartiennent à d'autres traditions
religieuses. Les tentatives de justifications d'actions criminelles par des
slogans religieux sont absolument inacceptables. Aucun crime ne peut être
commis au nom de Dieu, «car Dieu n'est pas un Dieu de désordre, mais de paix»
(1 Co 14, 33).
14. Attestant de la haute valeur de la liberté religieuse, nous
rendons grâce à Dieu pour le renouveau sans précédent de la foi chrétienne qui
se produit actuellement en Russie et en de nombreux pays d'Europe de l'Est, où
des régimes athées dominèrent pendant des décennies. Aujourd'hui les fers de
l'athéisme militant sont brisés et en de nombreux endroits les chrétiens
peuvent confesser librement leur foi. En un quart de siècle ont été érigés là
des dizaines de milliers de nouvelles églises, ouverts des centaines de
monastères et d'établissements d'enseignement théologique.
Les communautés
chrétiennes mènent une large activité caritative et sociale, apportant une aide
diversifiée aux nécessiteux. Orthodoxes et catholiques oeuvrent souvent côte à
côte. Ils attestent des fondements spirituels communs de la convivance humaine,
en témoignant des valeurs évangéliques.
15. Dans le même temps, nous sommes préoccupés par la situation
de tant de pays où les chrétiens se heurtent de plus en plus souvent à une
restriction de la liberté religieuse, du droit de témoigner de leurs
convictions et de vivre conformément à elles. En particulier, nous voyons que
la transformation de certains pays en sociétés sécularisées, étrangère à toute
référence à Dieu et à sa vérité, constitue un sérieux danger pour la liberté
religieuse. Nous sommes préoccupés par la limitation actuelle des droits des
chrétiens, voire de leur discrimination, lorsque certaines forces politiques,
guidées par l'idéologie d'un sécularisme si souvent agressif, s'efforcent de
les pousser aux marges de la vie publique.
16. Le processus d'intégration européenne, initié après des
siècles de conflits sanglants, a été accueilli par beaucoup avec espérance,
comme un gage de paix et de sécurité. Cependant, nous mettons en garde contre
une intégration qui ne serait pas respectueuse des identités religieuses. Tout
en demeurant ouverts à la contribution des autres religions à notre
civilisation, nous sommes convaincus que l'Europe doit rester fidèle à ses
racines chrétiennes. Nous appelons les chrétiens européens d'Orient et
d'Occident à s'unir pour témoigner ensemble du Christ et de l'Evangile, pour
que l'Europe conserve son âme formée par deux mille ans de tradition
chrétienne.
La consommation sans limite, que l'on constate dans certains
pays plus développés, épuise progressivement les ressources de notre planète.
17. Notre regard se porte sur les personnes se trouvant dans des
situations de détresse, vivant dans des conditions d'extrême besoin et de
pauvreté, alors même que croissent les richesses matérielles de l'humanité.
Nous ne pouvons rester indifférents au sort de millions de migrants et de
réfugiés qui frappent à la porte des pays riches. La consommation sans limite,
que l'on constate dans certains pays plus développés, épuise progressivement
les ressources de notre planète. L'inégalité croissante dans la répartition des
biens terrestres fait croître le sentiment d'injustice à l'égard du système des
relations internationales qui s'est institué.
18. Les Eglises chrétiennes sont appelées à défendre les
exigences de la justice, le respect des traditions des peuples et la solidarité
effective avec tous ceux qui souffrent. Nous, chrétiens, ne devons pas oublier
que «ce qu'il y a de faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi, pour
couvrir de confusion ce qui est fort ; ce qui est d'origine modeste, méprisé dans
le monde, ce qui n'est pas, voilà ce que Dieu a choisi, pour réduire à rien ce
qui est ; ainsi aucun être de chair ne pourra s'enorgueillir devant Dieu» (1 Co
1, 27-29).
19. La famille est le centre naturel de la vie humaine et de la
société. Nous sommes inquiets de la crise de la famille dans de nombreux pays.
Orthodoxes et catholiques, partageant la même conception de la famille, sont
appelés à témoigner que celle-ci est un chemin de sainteté, manifestant la
fidélité des époux dans leurs relations mutuelles, leur ouverture à la
procréation et à l'éducation des enfants, la solidarité entre les générations
et le respect pour les plus faibles.
20. La famille est fondée sur le mariage, acte d'amour libre et
fidèle d'un homme et d'une femme. L'amour scelle leur union, leur apprend à se
recevoir l'un l'autre comme don. Le mariage est une école d'amour et de
fidélité. Nous regrettons que d'autres formes de cohabitation soient désormais
mises sur le même plan que cette union, tandis que la conception de la paternité
et de la maternité comme vocation particulière de l'homme et de la femme dans
le mariage, sanctifiée par la tradition biblique, est chassée de la conscience
publique.
21. Nous appelons chacun au respect du droit inaliénable à la
vie. Des millions d'enfants sont privés de la possibilité même de paraître au
monde. La voix du sang des enfants non nés crie vers Dieu (cf. Gn 4, 10).
Le développement de la prétendue euthanasie conduit à ce que les
personnes âgées et les infirmes commencent à se sentir être une charge
excessive pour leur famille et la société en général.
Nous sommes aussi préoccupés par le développement des
technologies de reproduction biomédicale, car la manipulation de la vie humaine
est une atteinte aux fondements de l'existence de l'homme, créé à l'image de
Dieu. Nous estimons notre devoir de rappeler l'immuabilité des principes moraux
chrétiens, fondés sur le respect de la dignité de l'homme appelé à la vie,
conformément au dessein de son Créateur.
22. Nous voulons adresser aujourd'hui une parole particulière à
la jeunesse chrétienne. A vous, les jeunes, appartient de ne pas enfouir le
talent dans la terre (cf. Mt 25, 25), mais d'utiliser toutes les capacités que
Dieu vous a données pour confirmer dans le monde les vérités du Christ, pour incarner
dans votre vie les commandements évangéliques de l'amour de Dieu et du
prochain. Ne craignez pas d'aller à contre-courant, défendant la vérité divine
à laquelle les normes séculières contemporaines sont loin de toujours
correspondre.
23. Dieu vous aime et attend de chacun de vous que vous soyez
ses disciples et apôtres. Soyez la lumière du monde, afin que ceux qui vous
entourent, voyant vos bonnes actions, rendent gloire à votre Père céleste (cf.
Mt 5, 14, 16). Eduquez vos enfants dans la foi chrétienne, transmettez-leur la
perle précieuse de la foi (cf. Mt 13, 46) que vous avez reçue de vos parents et
aïeux. N'oubliez pas que vous «avez été rachetés à un cher prix» (1 Co 6, 20),
au prix de la mort sur la croix de l'Homme-Dieu Jésus Christ.
24. Orthodoxes et catholiques sont unis non seulement par la
commune Tradition de l'Eglise du premier millénaire, mais aussi par la mission
de prêcher l'Evangile du Christ dans le monde contemporain. Cette mission
implique le respect mutuel des membres des communautés chrétiennes, exclut
toute forme de prosélytisme.
Nous ne sommes pas concurrents, mais frères: de cette conception
doivent procéder toutes nos actions les uns envers les autres et envers le
monde extérieur. Nous exhortons les catholiques et les orthodoxes, dans tous
les pays, à apprendre à vivre ensemble dans la paix, l'amour et à avoir «les
uns pour les autres la même aspiration» (Rm 15, 5). Il ne peut donc être
question d'utiliser des moyens indus pour pousser des croyants à passer d'une
Eglise à une autre, niant leur liberté religieuse ou leurs traditions propres.
Nous sommes appelés à mettre en pratique le précepte de l'apôtre Paul: «Je me
suis fait un honneur d'annoncer l'Évangile là où Christ n'avait point été
nommé, afin de ne pas bâtir sur le fondement d'autrui» (Rm 15, 20).
25. Nous espérons que notre rencontre contribuera aussi à la
réconciliation là où des tensions existent entre gréco-catholiques et
orthodoxes. Il est clair aujourd'hui que la méthode de l'«uniatisme» du passé,
comprise comme la réunion d'une communauté à une autre, en la détachant de son
Eglise, n'est pas un moyen pour recouvrir l'unité. Cependant, les communautés
ecclésiales qui sont apparues en ces circonstances historiques ont le droit
d'exister et d'entreprendre tout ce qui est nécessaire pour répondre aux
besoins spirituels de leurs fidèles, recherchant la paix avec leurs voisins.
Orthodoxes et gréco-catholiques ont besoin de se réconcilier et de trouver des
formes de coexistence mutuellement acceptables.
26. Nous déplorons la confrontation en Ukraine qui a déjà
emporté de nombreuses vies, provoqué d'innombrables blessures à de paisibles
habitants et placé la société dans une grave crise économique et humanitaire.
Nous exhortons toutes les parties du conflit à la prudence, à la solidarité
sociale, et à agir pour la paix. Nous appelons nos Eglises en Ukraine à
travailler pour atteindre la concorde sociale, à s'abstenir de participer à la
confrontation et à ne pas soutenir un développement ultérieur du conflit.
27. Nous exprimons l'espoir que le schisme au sein des fidèles
orthodoxes d'Ukraine sera surmonté sur le fondement des normes canoniques
existantes, que tous les chrétiens orthodoxes d'Ukraine vivront dans la paix et
la concorde et que les communautés catholiques du pays y contribueront, de
sorte que soit toujours plus visible notre fraternité chrétienne.
28. Dans le monde contemporain, multiforme et en même temps uni
par un même destin, catholiques et orthodoxes sont appelés à collaborer
fraternellement en vue d'annoncer la Bonne Nouvelle du salut, à témoigner
ensemble de la dignité morale et de la liberté authentique de la personne,
«pour que le monde croie» (Jn 17, 21). Ce monde, dans lequel disparaissent
progressivement les piliers spirituels de l'existence humaine, attend de nous
un fort témoignage chrétien dans tous les domaines de la vie personnelle et
sociale. De notre capacité à porter ensemble témoignage de l'Esprit de vérité
en ces temps difficiles dépend en grande partie l'avenir de l'humanité.
29. Que dans le témoignage hardi de la vérité de Dieu et de la
Bonne Nouvelle salutaire nous vienne en aide l'Homme-Dieu Jésus Christ, notre
Seigneur et Sauveur, qui nous fortifie spirituellement par sa promesse
infaillible: «Sois sans crainte, petit troupeau: votre Père a trouvé bon de
vous donner le Royaume» (Lc 12, 32)!
Le Christ est la source de la joie et de l'espérance. La foi en
Lui transfigure la vie de l'homme, la remplit de sens. De cela ont pu se
convaincre par leur propre expérience tous ceux à qui peuvent s'appliquer les
paroles de l'apôtre Pierre: «Vous qui jadis n'étiez pas un peuple et qui êtes
maintenant le Peuple de Dieu, qui n'obteniez pas miséricorde et qui maintenant
avez obtenu miséricorde» (1 P 2, 10).
30. Remplis de gratitude pour le don de la compréhension
mutuelle manifesté lors de notre rencontre, nous nous tournons avec espérance
vers la Très Sainte Mère de Dieu, en l'invoquant par les paroles de l'antique
prière: «Sous l'abri de ta miséricorde, nous nous réfugions, Sainte Mère de
Dieu». Puisse la Bienheureuse Vierge Marie, par son intercession, conforter la
fraternité de ceux qui la vénèrent, afin qu'ils soient au temps fixé par Dieu
rassemblés dans la paix et la concorde en un seul Peuple de Dieu, à la gloire
de la Très Sainte et indivisible Trinité!
Le 12 février 2016, à La Havane (Cuba)
Jean-Marie Guénois
Source : "Le Figaro" le 12 février 2016