À L'OCCASION DE LA SOLENNITÉ DE LA TRÈS SAINTE TRINITÉ
Très chers frères et sœurs,
que mon salut cordial et fraternel parvienne à vous tous, membres de la Famille Trinitaire.
En tant que Famille Trinitaire, nous célébrons le XXVe anniversaire du SIT. Cette célébration se présente comme une précieuse opportunité de vérification du chemin accompli et de regard vers l’avenir pour accueillir les défis du temps présent. L’un des moments les plus significatifs de la célébration de cet anniversaire a été la rencontre au Bahreïn qui a vu la participation des représentants des différentes branches de la Famille Trinitaire et de ceux qui coordonnent les activités du SIT au niveau local et international.
Cela a été une grâce de pouvoir célébrer ces rencontres dans un contexte particulier comme le Bahreïn. Je renouvelle mes remerciements à Mgr Aldo Berardi et ses collaborateurs pour l’accueil merveilleux qu’ils nous ont réservé. A partir de cette expérience, je voudrais partager avec vous quelques réflexions.
1. Le contexte.
Pour la première fois, nous avons organisé la réunion de la direction du SIT dans un pays où les chrétiens sont une minorité religieuse. Cette rencontre est en continuité avec l’expérience de l’Assemblée inter-trinitaire, vécue entre l’Espagne et le Maroc, pays où les chrétiens n’atteignent pas 1% de la population.
Bahreïn au cœur du monde arabo-musulman est un exemple d’accueil réciproque entre les religions et de dialogue interreligieux. La visite du Saint-Père François qui participa au Bahreïn Forum for Dialogue fut particulièrement significative. Notre groupe a également pu visiter des mosquées et des centres culturels islamiques, la synagogue et un temple hindou. Particulièrement important était la visite au King Hamad Global Center for Peacefull Coexistance. Ce centre, qui a également activé une chaire à l’Université La Sapienza de Rome, est engagé à promouvoir le dialogue interculturel et interreligieux et à repousser toute déformation violente du message religieux, toute forme de fanatisme religieux, car la violence est contraire à l’expérience religieuse authentique.
Le Royaume de Bahreïn dans sa Constitution garantit également la liberté de culte. Les contextes où nous avons célébré ces rencontres de la Famille Trinitaire sont particulièrement significatifs et nous aident à mieux comprendre et à vivre notre mission dans la fidélité créative au charisme de saint Jean de Matha. Ces lieux particuliers nous interpellent comme Famille Trinitaire à intensifier notre attention et notre présence là où les chrétiens, dans la condition de minorité religieuse, dans des pays pas toujours ouverts et favorables comme Bahreïn, ont besoin d’être accompagnés et soutenus.
2. Aux racines de notre engagement en faveur des chrétiens persécutés
L’expérience vécue à Bahreïn nous aide donc à aller aux racines de notre engagement en faveur des chrétiens persécutés, que nous saisissons dans le mystère de la Très Sainte Trinité et dans le mystère de la rédemption. La Très Sainte Trinité est en elle-même un dialogue perpétuel d’amour entre le Père et le Fils dans le souffle de l’Esprit Saint, dialogue qui s’étend à l’humanité tout entière. La Trinité est donc un mystère qui invite au dialogue, à la rencontre, à l’accueil, elle est source inépuisable de communion et de paix.
Ce dialogue du salut se poursuit dans la mission de l’Eglise et dans notre mission comme Trinitaires, engagés à défendre la dignité humaine de toute forme d’oppression. De la relation intime et profonde avec Dieu Trinité naît aussi notre engagement pour dialoguer avec tous, sans exclure personne. Le dialogue interreligieux répond à cette exigence. Ce n’est pas la stratégie, la tactique, la mode du moment, mais c’est l’expression et la dimension constitutive de notre foi et, pour nous, Trinitaires, de notre fidélité au charisme des origines.
« Le dialogue entre personnes de religions différentes ne se fait pas seulement par diplomatie, courtoisie ou tolérance [...]. L’objectif du dialogue est d’établir l’amitié, la paix, l’harmonie et de partager des valeurs et des expériences morales et spirituelles dans un esprit de vérité et d’amour 1». Le cœur du dialogue interreligieux, comme toute autre forme de dialogue, est la relation, la rencontre, l’accueil de l’autre. Nous sommes conscients qu’il s’agit d’une mission difficile, car le dialogue interreligieux entre les formes de dialogue est certainement le plus difficile, mais nous sommes tout aussi conscients qu’il s’agit d’une nécessité vitale qui a comme seule alternative l’incommunicabilité de la guerre, qui engendre la destruction et la mort.
3. Dialogue interreligieux et liberté religieuse
L’histoire de notre famille religieuse nous rappelle que la mission rédemptrice de la libération des captifs pro fide Christi se réalisait à travers la rencontre et le dialogue avec les musulmans. «Avec l’Ordre trinitaire, la chrétienté instaure un contact humanitaire avec le monde de l’islam; et même Innocent III présente l’œuvre rédemptrice et libératrice de notre Institut aux chefs du monde musulman, inaugurant ainsi un dialogue qui avait pour objet la pratique des œuvres de miséricorde».
Notre fondateur a anticipé saint François d’Assise dans sa volonté de rejoindre les fils de l’Islam pour instaurer avec eux un dialogue fondé sur la libération des esclaves, c’est-à-dire sur ce qui était à l’époque de notre fondateur la plus grande œuvre de charité. Tant notre histoire que notre mission actuelle nous disent qu’il n’est pas possible d’aider les chrétiens persécutés sans promouvoir la liberté religieuse pour le bien de tous, et il n’est pas possible de promouvoir ce droit fondamental de pouvoir exprimer librement sa foi et de vivre selon ses principes, sans assumer la fatigue et le courage du dialogue avec les croyants d’autres traditions religieuses. La liberté religieuse, en effet, représente la prémisse nécessaire et l’un des principaux objectifs du dialogue interreligieux. Ce n’est pas un hasard si le pape François, dans chaque rencontre interreligieuse à laquelle il participe, fait toujours référence à la nécessité de protéger ensemble le plus important des droits humains fondamentaux.
Et c’est aussi pour cette raison que l’engagement du SIT au cours des dernières années va dans cette direction, à travers des conventions et des collaborations avec d’importants centres universitaires comme le Centre d’Etudes interreligieuses de l’Université Pontificale Grégorienne.
4. Formation au dialogue
Le dialogue, en particulier le dialogue interreligieux, ne s’improvise pas. Une formation adéquate au dialogue qui peut se réaliser à différents niveaux s’avère nécessaire. Au niveau théologique, il est nécessaire de former des experts en dialogue. L’Eglise nous le demande aujourd’hui. Lorsque j’ai rencontré en 2021 le Conseil Permanent de la Conférence Episcopale malgache, les évêques m’ont demandé une aide dans ce domaine, parce qu’ils me disaient que pour l’Église malgache le dialogue interreligieux, spécialement avec l’islam, représente un défi auquel ils ne sont pas préparés.
Notre présence trinitaire dans les pays où les chrétiens sont une minorité religieuse exige également une formation spécifique. Cette mission particulière ne peut se fonder que sur la disponibilité et la bonne volonté de certaines personnes, mais elle doit nécessairement être soutenue par une formation adéquate.
Mais nous commettrions une erreur de perspective si nous pensions que le dialogue n’est qu’une affaire de théologiens et d’experts en la matière. Il existe d’autres formes de dialogue accessibles à tous comme le dialogue de la vie et des œuvres, le dialogue de l’expérience religieuse. Ces formes sont praticables dans tous les contextes où l’on vit et où l’on travaille, parce que le défi du dialogue interreligieux nous interpelle tous, nous qui vivons dans un monde marqué comme jamais auparavant par le pluralisme religieux.
Nous devons avoir le courage d’investir davantage dans la formation et l’éducation au dialogue interreligieux : c’est l’un des plus grands défis du moment historique complexe que nous traversons, est la plus grande contribution que nous puissions
apporter à la construction d’une société plus libre et plus pacifique. Nous devons avoir le courage d’investir et de nous engager davantage dans ce domaine.
5. Que nos communautés religieuses et nos fraternités laïques soient des laboratoires de dialogue
Le dialogue ad extra exige et appelle le dialogue ad intra. Nous ne pouvons pas nous faire promoteurs de dialogue si nous ne vivons pas dans nos communautés et fraternités respectives cette expérience enthousiasmante et difficile en même temps. La tentation qui nous assaille souvent est celle de nous réfugier dans nos silences, de fuir la confrontation, de nous résigner face aux incompréhensions. Le dialogue, avant d’être une activité, est un style de vie parce qu’il exige une capacité d’écoute, de respecter les espaces et la liberté de l’autre, la conscience que la recherche de la vérité, dont personne ne détient le monopole, exige l’ouverture à l’autre. Même les moments de crise peuvent se transformer en occasion propice pour un dialogue encore plus profond et encore plus authentique.
Si « le Dieu invisible, dans son grand amour, parle aux hommes comme à des amis et s'entretient avec eux pour les inviter et les admettre à la communion avec lui-même »3, qui sommes-nous pour refuser à nos frères l'écoute et le dialogue ouvert et constructif ? Le dialogue, en effet, permet de transformer les conflits en opportunités de croissance et même de grâce.
6. Regarder ensemble vers l'avenir
Dans un avenir proche, deux événements particulièrement significatifs nous attendent, auxquels nous devons nous préparer dès aujourd'hui : le Jubilé ordinaire de l'année 2025 et le Chapitre Général des religieux. Le thème du Jubilé est "L'espérance ne déçoit pas" (Rm 5,5), tandis que le thème du prochain Chapitre Général, qui se tiendra à Rome, est "Persécutés mais pas abandonnés" (2 Co 4,9). Je demande à tous d'accompagner par la prière la préparation du Chapitre Général, afin qu'il soit un moment privilégié d'écoute de l'Esprit Saint, une expérience synodale authentique, un moment de grâce pour grandir dans la fidélité au charisme et donner un élan plus fort à notre engagement en faveur des chrétiens persécutés
Dans quelques jours, nous célébrerons la solennité de la Sainte Trinité. Que le renouvellement de nos promesses de consécration soit l'expression de notre engagement quotidien à rester fidèles au charisme trinitaire et à être des témoins de fraternité et de paix dans ce monde déchiré par les guerres et les discordes. Qu'elle soit aussi l'expression de notre engagement de communion, que nous sommes appelés à réaliser à différents niveaux, en commençant par nos communautés et nos fraternités pour embrasser le monde entier, en particulier les pauvres et les plus démunis, car ce n'est que lorsque nous aurons embrassé les derniers que nous serons sûrs d'avoir embrassé le monde entier. C'est ce que je souhaite à toute la famille trinitaire : être des témoins fervents et passionnés du mystère de communion et d'amour de la Sainte Trinité.
Rome, 12 mai 2024
Solennité de l’Ascension du Seigneur
Fr. Luigi Buccarello O.SS.T.