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samedi 10 janvier 2015

Vendredi 9 janvier à la Cathédrale : Homélie de monseigneur Dagens suite aux attaques terroristes.

En présence de représentants musulmans et juifs, Monseigneur Dagens a donné l’homélie suivante :

FACE À L’HORREUR DE LA HAINE : REFUSER LES PROPHÈTES DE MALHEUR, ÉDUQUER AUX RÉALITÉS RELIGIEUSES, CULTIVER LA FORCE DE L’ESPÉRANCE

Nous sommes encore sous le choc après cette explosion soudaine de violence, de haine et de mort, dans les locaux d’un hebdomadaire satirique. Douze morts et des blessés, et ces vagues d’émotion calme qui aident à vivre ces moments de tristesse et de désarroi, surtout alors que se déroulent d’impressionnantes prises d’otages.

Mais il ne faut pas que ces moments de désarroi débouchent sur des pulsions de peur, surtout lorsque tant de prophéties nous annoncent un état de guerre au terrorisme qui deviendrait le seul mot d’ordre et le seul horizon de notre société qui a tant d’autres raisons d’être inquiète.

Il faut souhaiter que notre émotion devant l’horreur du mal ne fasse pas de nous des vaincus, des gens qui cultiveraient la peur des ennemis. Il nous faut critiquer les prophètes de malheur, qui sont légion et répercuter cette musique d’espérance que fait retentir la Parole de Dieu, à travers ces prophètes d’un peuple exilé qui ne se résignent ni à la violence, ni à la défaite. « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière », et les signes sanglants de la guerre disparaissent peu à peu, tandis que le droit et la justice sont rétablis.

Cette lumière d’espérance, nous en sommes porteurs, chacun à notre manière. Et beaucoup d’entre nous, j’en suis sûr, peuvent accueillir ces paroles de Jésus qui sont au début de sa prédication :
« Heureux ceux qui font œuvre de paix :
ils seront appelés enfants de Dieu !
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice :
le Royaume des cieux est à eux ! »
Voilà les maîtres-mots de l’expérience humaine et religieuse que nous avons à pratiquer ! Ce n’est pas de l’idéalisme. Nous savons les combats à mener, mais nous ne nous résignons pas à être vaincus par le mal. L’émotion partagée peut être un tremplin pour comprendre et pour pratiquer ce qui nous relie les uns aux autres et qui fait de nous un peuple « ardent à faire le bien ».

Et, dans ce but, nous sentons bien qu’il nous faut faire un bon usage à la fois de la laïcité française, en la pratiquant comme un élément vital d’éducation, et aussi de nos convictions religieuses, en cherchant à les exprimer et à les expliquer de façon raisonnable.

Nous ne pouvons pas nous résigner à ce que nos religions, que ce soit la juive, la chrétienne et la musulmane, soient considérées comme des forces irrationnelles et des sources de violence et même de terreur. Mais nous avons besoin d’aborder et d’expliquer nos croyances et nos pratiques religieuses non pas comme des préférences individuelles, mais comme des raisons de vivre et de participer à notre vie commune.

L’état actuel de trouble doit nous obliger à prendre dans ce domaine des initiatives de formation et de réflexion. Sinon nous serons à la merci de tout ce charivari de rumeurs et d’images qui font de nous des obscurantistes et des fanatiques. Et nous devons accepter que ceux et celles qui ne croient pas en Dieu ou qui sont agnostiques puissent nous dire eux aussi les raisons de leurs convictions personnelles. C’est un grand travail d’éducation qui nous est demandé. Mais il nous oblige à comprendre que les réalités de l’esprit sont aussi importantes que les calculs de l’économie et que l’on ne peut pas se contenter de cultiver la pensée « calculante », au détriment de la pensée « méditante ».

Et puis, il y a le plus vital et le plus important : la culture de l’espérance, au milieu même de ce qui peut nous porter au désenchantement et parfois même à la désespérance, comme si nous devions subir passivement une histoire qui serait écrite d’avance et qui nous conduirait à des catastrophes.

Non ! Même si nous marchons dans des ténèbres, faites de peurs et de violences, nous ne cesserons pas de guetter cette lumière qui passe par nos consciences, par nos cœurs, par nos rencontres, par nos dialogues, surtout si nous consentons, comme nous y appelle avant tant d’insistance le pape François, à sortir de nous-mêmes pour aller vers des périphéries de nos existences et de nos sociétés, là où vivent non pas des ennemis, mais des hommes et des femmes qui ont souvent peur de sortir de chez eux et qui n’osent plus tendre leurs mains.

À nous d’oser pratiquer ces rencontres ordinaires, faites de gestes d’amitié, d’actes de confiance et parfois même de réconciliation, en cultivant cette « mystique du vivre ensemble », qui consiste, comme le dit encore le pape François, à « se mélanger, à se rencontrer, à se prendre dans les bras, à se soutenir, et à participer ainsi à cette marée un peu chaotique qui peut se transformer en une véritable expérience de fraternité, en une caravane solidaire, en un saint pèlerinage. »

Jusqu’à ce que vienne l’heure de cet aboutissement mystérieux où « la mort ne sera plus il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien aura disparu.»


Nous ne sommes pas alors des rêveurs, mais des combattants de l’espérance, au milieu même de ce qui nous éprouve !

P. Claude Dagens








(source : site du diocèse d'Angoulême)