En présence de représentants musulmans et juifs, Monseigneur Dagens a donné l’homélie suivante :
FACE À L’HORREUR DE LA
HAINE : REFUSER LES PROPHÈTES DE MALHEUR, ÉDUQUER AUX RÉALITÉS RELIGIEUSES, CULTIVER LA FORCE DE L’ESPÉRANCE
Nous sommes encore sous le choc
après cette explosion soudaine de violence, de haine et de mort, dans les
locaux d’un hebdomadaire satirique. Douze morts et des blessés, et ces vagues
d’émotion calme qui aident à vivre ces moments de tristesse et de désarroi, surtout
alors que se déroulent d’impressionnantes prises d’otages.
Mais il ne faut pas que ces
moments de désarroi débouchent sur des pulsions de peur, surtout lorsque tant
de prophéties nous annoncent un état de guerre au terrorisme qui deviendrait le
seul mot d’ordre et le seul horizon de notre société qui a tant d’autres
raisons d’être inquiète.
Il faut souhaiter que notre
émotion devant l’horreur du mal ne fasse pas de nous des vaincus, des gens qui
cultiveraient la peur des ennemis. Il nous faut critiquer les prophètes de
malheur, qui sont légion et répercuter cette musique d’espérance que fait
retentir la Parole de Dieu, à travers ces prophètes d’un peuple exilé qui ne se
résignent ni à la violence, ni à la défaite. « Le peuple qui marchait dans
les ténèbres a vu se lever une grande lumière », et les signes sanglants
de la guerre disparaissent peu à peu, tandis que le droit et la justice sont
rétablis.
Cette lumière d’espérance, nous
en sommes porteurs, chacun à notre manière. Et beaucoup d’entre nous, j’en suis
sûr, peuvent accueillir ces paroles de Jésus qui sont au début de sa
prédication :
« Heureux ceux qui font
œuvre de paix :
ils seront appelés enfants de
Dieu !
Heureux ceux qui sont persécutés
pour la justice :
le Royaume des cieux est à
eux ! »
Voilà les maîtres-mots de
l’expérience humaine et religieuse que nous avons à pratiquer ! Ce n’est
pas de l’idéalisme. Nous savons les combats à mener, mais nous ne nous
résignons pas à être vaincus par le mal. L’émotion partagée peut être un tremplin
pour comprendre et pour pratiquer ce qui nous relie les uns aux autres et qui
fait de nous un peuple « ardent à faire le bien ».
Et, dans ce but, nous sentons
bien qu’il nous faut faire un bon usage à la fois de la laïcité française, en
la pratiquant comme un élément vital d’éducation, et aussi de nos convictions
religieuses, en cherchant à les exprimer et à les expliquer de façon
raisonnable.
Nous ne pouvons pas nous résigner
à ce que nos religions, que ce soit la juive, la chrétienne et la musulmane,
soient considérées comme des forces irrationnelles et des sources de violence
et même de terreur. Mais nous avons besoin d’aborder et d’expliquer nos
croyances et nos pratiques religieuses non pas comme des préférences
individuelles, mais comme des raisons de vivre et de participer à notre vie
commune.
L’état actuel de trouble doit
nous obliger à prendre dans ce domaine des initiatives de formation et de
réflexion. Sinon nous serons à la merci de tout ce charivari de rumeurs et
d’images qui font de nous des obscurantistes et des fanatiques. Et nous devons
accepter que ceux et celles qui ne croient pas en Dieu ou qui sont agnostiques
puissent nous dire eux aussi les raisons de leurs convictions personnelles.
C’est un grand travail d’éducation qui nous est demandé. Mais il nous oblige à
comprendre que les réalités de l’esprit sont aussi importantes que les calculs
de l’économie et que l’on ne peut pas se contenter de cultiver la pensée
« calculante », au détriment de la pensée « méditante ».
Et puis, il y a le plus vital et
le plus important : la culture de l’espérance, au milieu même de ce qui
peut nous porter au désenchantement et parfois même à la désespérance, comme si
nous devions subir passivement une histoire qui serait écrite d’avance et qui
nous conduirait à des catastrophes.
Non ! Même si nous marchons
dans des ténèbres, faites de peurs et de violences, nous ne cesserons pas de
guetter cette lumière qui passe par nos consciences, par nos cœurs, par nos
rencontres, par nos dialogues, surtout si nous consentons, comme nous y appelle
avant tant d’insistance le pape François, à sortir de nous-mêmes pour aller
vers des périphéries de nos existences et de nos sociétés, là où vivent non pas
des ennemis, mais des hommes et des femmes qui ont souvent peur de sortir de
chez eux et qui n’osent plus tendre leurs mains.
À nous d’oser pratiquer ces
rencontres ordinaires, faites de gestes d’amitié, d’actes de confiance et
parfois même de réconciliation, en cultivant cette « mystique du vivre
ensemble », qui consiste, comme le dit encore le pape François, à
« se mélanger, à se rencontrer, à se prendre dans les bras, à se soutenir,
et à participer ainsi à cette marée un peu chaotique qui peut se transformer en
une véritable expérience de fraternité, en une caravane solidaire, en un saint
pèlerinage. »
Jusqu’à ce que vienne l’heure de
cet aboutissement mystérieux où « la mort ne sera plus il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni souffrance, car le monde ancien aura disparu.»
Nous ne sommes pas alors des
rêveurs, mais des combattants de l’espérance, au milieu même de ce qui nous
éprouve !
(source : site du diocèse d'Angoulême)