jeudi 9 avril 2015

Des chrétiens sont persécutés alors, "ne soyons pas des Ponce Pilate !"



Le massacre de 148 personnes, majoritairement chrétiennes, jeudi 2 avril, à l'université de Garissa, dans le nord-est du Kenya, a assombri la célébration de Pâques, qui commémore la mort et la résurrection du Christ.
Selon plusieurs témoignages, les étudiants ont été triés par les djihadistes du groupe somalien Harakat Al-Chabab Al-Moudjahidin, qui ont séparé les chrétiens des musulmans avant d'exécuter les premiers.

Le pape François a mis en garde les Occidentaux contre le risque « d'être les Ponce Pilate qui se lavent les mains » du sort des chrétiens dans de nombreux pays, en référence au préfet romain qui a permis la crucifixion de Jésus.
« Les chrétiens ne sont certainement pas les seules victimes des violences homicides dans le monde, mais on ne peut ignorer qu'ils sont les victimes désignées et les plus fréquentes dans de nombreux pays. »



Si les conditions de vie des chrétiens semblent devenir de plus en plus précaires dans certains pays où ils sont en minorité, difficile  d'établir un bilan chiffré exhaustif des attaques contre cette communauté.
L'ONG Porte ouvertes compile les données d'associations, d'instituts de recherche et des médias, pour publier chaque année un index mondial des persécutions contre les chrétiens. Cet index recense les persécutions au sens large, qu'elles soient physiques (meurtres, attaques, tortures, viols) et morales (discrimination, interdiction de pratiquer son culte, conversions forcées).



Cliquez sur la carte pour voir le détail du classement des pays

40 PAYS SUR 50


Selon le rapport 2015 de l'ONG chrétienne, l'extrémisme islamique est le « principal mécanisme de persécution » dans 40 pays sur les 50 recensés par l'ONG. La méthodologie de l'association distingue d'autres mécanismes comme les rivalités ethniques, l'oppression communiste ou le totalitarisme.
Nous avons cherché à comptabiliser précisément le nombre de personnes de confession chrétienne tuées dans des attaques islamistes depuis l'arrivée du pape François au Vatican, en mars 2013, du fait de leur religion.
En reprenant les articles de presse, nous avons dénombré 532 meurtres de chrétiens au cours d'attaques d'extrémistes se réclamant de l'islam. Il en manque certainement : tous les attentats ne sont pas médiatisés et certaines zones sont difficilement couvertes en raison des conflits intérieurs ou de situation de guerre.
Enfin, il faut souligner que ce chiffre ne résume pas, loin s'en faut, les violences d'un pays. Les musulmans, les minorités religieuses et même les laïcs sont souvent les premières victimes de ces conflits.
Les principales violences contre des chrétiens :
         
Kenya
Ce n'est pas la première fois qu'un attentat endeuille la population chrétienne du Kenya : ne serait-ce qu'en 2014, deux attaques ont fait respectivement 64 morts à Poromoko et Mpeketoni, et 6 morts à Mombasa.
Dans l'attaque contre l'université kényane, outre le symbole d'un pays tourné vers l'instruction, il s'agissait pour le groupe islamiste armé qui a revendiqué l'attentat, les Chabab, de miser sur les divisions ethniques et religieuses. C'est ainsi qu'ils ont choisi d'assassiner des chrétiens et d'épargner ceux qui sont capables de réciter des versets du Coran. L'université de Garissa aurait été choisie parce qu'elle se trouvait « sur une terre musulmane colonisée ».

         
Tanzanie
La Tanzanie, pays voisin du Kenya, a connu deux attaques visant spécifiquement les chrétiens, en 2013, à Arusha. Au total, six personnes sont mortes, selon nos décomptes.
Les tensions religieuses se renforcent entre chrétiens et musulmans depuis deux ans autour de conflits économiques, comme l'abattage du bétail, traditionnellement réservé aux musulmans.
         
Niger
A Niamey, capitale du Niger, et à Zinder, dans le centre-sud du pays, des églises et des maisons de chrétiens ont été pillées et incendiées en janvier dernier, faisant 10 morts. Ces attaques sont survenues dans le cadre de manifestations contre la publication par l'hebdomadaire Charlie Hebdo d'une caricature représentant Mahomet.

         
Pakistan
Un double attentat revendiqué par les talibans pakistanais a fait au moins 14 morts le 15 mars dernier dans un quartier chrétien de Lahore. Ce drame survient deux ans après l'attentat contre une église de Peshawar où 82 personnes avaient trouvé la mort.


La minorité chrétienne représente environ 2 % des 200 millions d'habitants du Pakistan, soit 4 millions de personnes. Le pays est régulièrement ensanglanté par des attentats fomentés par les talibans, groupes d'inspiration wahhabites tenants d'une lecture littéraliste de l'islam, qui s'en prennent aussi aux musulmans qu'ils considèrent comme « hérétiques » qu'ils soient chiites, ahmadis ou sunnites de tradition soufie.

         
Nigéria
Au Nigéria, des musulmans considérés comme de « mauvais musulmans » sont également visés par les violences de Boko Haram. Le groupe armé – dont le nom signifie « l'éducation occidentale est un péché », en langue haoussa – s'attaque d'ailleurs davantage aux écoles qu'aux lieux de culte.
Selon l'ONG Portes ouvertes, le nombre de chrétiens tués aurait été multiplié par quatre en un an dans le pays. Parmi les 200 lycéennes enlevées par Boko Haram à Chibok, un village du nord-est du Nigéria, en avril 2014, près des trois quarts seraient chrétiennes.
En deux ans, nous avons relevé cinq attaques dirigées explicitement contre des chrétiens dans les villages de Kano (5 morts), Tanjol et Tashek (8 morts), Shuwa (25 morts), Gumsuri (32 morts) et Izghe (plus de 100 morts).
         
Libye et Egypte
Dans ces pays qui ont connu une révolution récente, nous avons comptabilisé deux attaques manifestes contre les chrétiens au cours des deux dernières années : l'une en octobre 2013 contre une église copte au Caire (4 morts), et l'autre en février dernier, contre des coptes également, décapités dans la région de la Tripolitaine en Libye.
L'Etat islamique a revendiqué l'assassinat de ces 21 croyants égyptiens, tués en Libye, dans une vidéo où il s'adresse au « peuple de la croix fidèle à l'Eglise égyptienne ennemie ». En réponse à cette attaque, l'Egypte a bombardé des positions du groupe djihadiste en Libye.
Pourtant, en Egypte, outre l'attentat contre l'église copte il y a deux ans, ces derniers sont aussi régulièrement la cible d'attaques depuis le renversement de Mohamed Morsi, les islamistes accusant les coptes d'avoir soutenu le coup de force de l'armée contre l'ancien président qui appartenait à la confrérie des Frères musulmans. Ces chrétiens, qui représentent 6 à 10 % des 85 millions d'Egyptiens, se sont régulièrement plaints de discrimination, notamment sous la présidence de M. Morsi.




LES PAYS OU IL EST DIFFICILE D'AVANCER DES CHIFFRES

         Somalie, Soudan et Centrafrique
Responsables de l'attentat au Kenya, les Chabab ont contrôlé les deux tiers de la Somalie entre 2008 et 2011. Ils continuent aujourd'hui de garder la main sur de vastes zones rurales, notamment dans le sud. Le chaos politique qui règne dans le pays leur permet de mener régulièrement des attaques dans les villes, notamment dans la capitale, Mogadiscio. Les chrétiens ne sont généralement pas visés à cause de leur religion, mais sont plutôt en tant que victimes d'actes terroristes contre des occidentaux ou des étrangers.
Autres pays où la complexité de la situation politique empêche de distinguer les violences commises à l'encontre des communautés chrétiennes : le Soudan et la Centrafrique. En Centrafrique, les chrétiens se sont constitués en milices pour se défendre contre les rebelles, essentiellement musulmans, de la coalition qui avait pris le pouvoir en mars 2013 avant d'en être chassée en janvier 2014.
Au Soudan, Nordistes musulmans et Sudistes chrétiens ou animistes se sont affrontés pendant près de trente ans. Depuis la partition du pays, en 2011, les chrétiens du nord sont soumis à un régime musulman où les violences à leur encontre se multiplient, selon des observateurs locaux.
         
Afghanistan et Philippines
D'autres attentats revendiqués ou attribués par le gouvernement local à des extrémistes religieux, en Afghanistan ou aux Philippines par exemple, ne peuvent être détaillés dans cet article dans la mesure où il n'est pas évident que les victimes étaient visées en tant que chrétiens. Le simple fait d'être occidental ou étranger servant de motif à ces attaques.
Par exemple, l'attentat qui a visé, à Hérat en juillet dernier, deux humanitaires finlandaises appartenant à une ONG chrétienne n'a pas été revendiqué.
         
Syrie et Liban
Les pays en guerre sont aussi difficiles à intégrer dans ce décompte. En Syrie, les violences concernent la communauté chrétienne mais aussi yézidie. Le comité des Nations unies a dénoncé l'assassinat systématique d'enfants appartenant à ces minorités par des membres de l'organisation de l'Etat islamique. Il relate plusieurs cas d'exécutions de masse de garçons, ainsi que des décapitations, des crucifixions et des ensevelissements d'enfants vivants. Mais il n'opère aucun décompte.

Le problème est le même au Liban où des attentats touchant des quartiers chrétiens peuvent tout aussi bien viser la communauté chiite qui y habite.
         
Irak
En Irak, la population chrétienne a diminué de moitié en dix ans. Soixante et une églises ont été attaquées et un millier de chrétiens tués. L'attentat le plus sanglant a eu lieu le 31 octobre 2010, lorsque quarante-quatre fidèles et deux prêtres sont morts dans l'attaque de la cathédrale syriaque catholique de Bagdad par la branche irakienne d'Al-Qaida.
Lire le décryptage : Qui sont les chrétiens d'Irak ?
Comme le reconnaît Portes ouvertes, il est très difficile de réaliser un comptage exact en raison de la complexité des conflits locaux et de l'impossibilité, dans certains pays, pour les médias de faire leur travail sur place. Et même si ce comptage est possible (l'association parvient à dénombrer une centaine de victimes chrétiennes en Corée du Nord), il reste encore à le comprendre en fonction de la situation politique de chaque pays.

Mathilde Damgé

Source : Journal le Monde du 8 avril