La lectio divina - Introduction
La lectio divina reprend à son
compte les principes de base pour la lecture de l’Écriture élaborés déjà au
sein du judaïsme, et qui sont ensuite passés dans la tradition chrétienne. La
lectio divina est une façon de lire l’Écriture qui, se produisant dans la foi,
dans la prière, dans l’ouverture à l’Esprit, devient écoute de la Parole de
Dieu qui, au travers de la page biblique, s’adresse «à nous aujourd’hui».
Consacre-toi à la lectio des
divines Écritures ; applique-toi à cela avec persévérance. Engage-toi dans la
lectio avec l'intention de croire et de plaire à Dieu. Si durant la lectio tu
te trouves devant une porte close, frappe, et le gardien t'ouvrira, lui dont
Jésus a dit : ‘Le gardien la lui ouvrira’. En t'appliquant ainsi à la lectio
divina, cherche avec loyauté et une confiance inébranlable en Dieu le sens des
Écritures divines, qui est largement contenu dans celles-ci. Tu ne dois
cependant pas te contenter de frapper et de chercher : pour comprendre les
choses de Dieu, tu as absolument besoin de l'oratio. Précisément pour nous
exhorter à celle-ci, le Sauveur nous a non seulement dit : “Cherchez et vous
trouverez” et “Frappez et on vous ouvrira”, mais il a ajouté : “Demandez et
vous recevrez”» (Ep. Gr. 4).
Cette lecture/écoute réalise
un approfondissement des niveaux de sens du texte biblique analogue au schéma
des quatre sens de l’Écriture que connaissent tant le judaïsme que le
christianisme. La doctrine chrétienne des quatre sens de l’Écriture, diffuse
dans l’exégèse médiévale, parle de sens littéral (qui concerne la signification
historique du texte), allégorique ou spirituel (qui analyse la portée
kérygmatique du texte), tropologique ou moral (qui implique l’existence du
croyant), anagogique (qui regarde le plan contemplatif et eschatologique).
Ces quatre niveaux de sens
correspondent en substance aux approfondissements que la lectio divina propose
de faire au lecteur de l’Écriture, en le guidant du niveau historico-littéral
(lectio) à son approfondissement révélateur et théologique qui fait émerger un
message central (meditatio) auquel on répond par la prière et l’engagement dans
la vie (oratio), jusqu’à donner à l’existence tout entière de partager le
regard de Dieu sur les réalités humaines
(contemplatio).
- S'y préparer
Pour la lectio divina, il faut
avant tout un lieu de solitude et de silence. Il s’agit de chercher et
d’écouter Dieu «qui est dans le secret» (Mt 6,6). Pour se disposer à écouter la
Parole, il est nécessaire de faire taire les nombreuses paroles et les bruits
qui assourdissent le cœur, il faut entrer dans la dimension essentielle du
silence et de la solitude, en prenant de la distance par rapport aux nombreuses
présences qui nous prennent d’assaut journellement. Une parole autorisée ne
peut naître que du silence, d’une longue écoute, de la capacité de méditer et
de penser, de réfléchir et de pondérer.
Pour s’aider à entrer dans la
lectio divina, on peut recourir à une icône, à une bougie allumée. Il est
certainement essentiel d’impliquer le corps dans la rencontre avec le Seigneur
à laquelle on se prépare : la lectio divina n’est pas purement intellectuelle,
mais elle doit concerner toute la personne, tout le corps. Il est bon aussi de
consacrer à la lectio divina un moment fixe de la journée, un temps auquel on
reste fidèle, et non des moments perdus, grappillés entre les nombreuses
activités. Le temps convenant au sérieux qui doit caractériser la lectio divina
est une heure ; mais c’est bien davantage la persévérance, l’assiduité
quotidienne, qui produit des fruits, au-delà d’une mesure de temps qui dépend
par ailleurs toujours du status et des activités de celui qui s’applique à la
lectio divina.
On se prépare à la lectio divina
par le silence, par l’exode de soi-même, mais aussi par la prière. Et avant
tout par l’épiclèse, par l’invocation du Saint-Esprit qui peut ouvrir les
oreilles de notre cœur pour nous donner l’intelligence de la Parole. Puis,
après la prière à l’Esprit, on peut être aidé à entrer dans le climat d’écoute
et de dialogue amoureux avec le Seigneur qui parle au travers de la page
biblique par la lecture d’une strophe du psaume de l’écoute (Ps 119 [118]),
véritable duo d’amour assimilable au Cantique des Cantiques. On entre ainsi
toujours davantage dans la lectio divina comme lieu sacramentel de l’expérience
de l’amour de Dieu. Alors peut commencer l’itinéraire de la lectio divina à
travers le texte biblique.
- Lire
L’acte initial de la lectio divina
est un acte de lecture. Comment choisir les textes à lire ? Soit on choisit un
livre et on en fait une lecture continue (en lisant une péricope après l’autre,
jour après jour), soit on fait la lectio divina sur les textes (ou sur un seul
des textes) de la liturgie du jour. Dans le premier cas, l’enrichissement est
constitué par le fait de pouvoir entrer en profondeur dans un livre biblique en
le saisissant, dans son ensemble, tandis que, dans le second cas, il est donné
par l’intégration réciproque de la prière personnelle et de la prière
liturgique.
Face au texte, il
faut donc commencer par lire. Que l’on lise le texte plusieurs fois, jusqu’à
quatre ou cinq fois. S’il s’agit d’un texte déjà connu, le risque est grand de
lire de façon superficielle, de ne pas s’arrêter sur le texte et d’en perdre
ainsi la richesse. Il peut alors être utile d’écrire le texte en le recopiant.
Cela oblige à faire un effort de concentration considérable et capable souvent
de faire émerger des dimensions et des aspects du texte dont on ne s’était
encore jamais aperçu. Ceux qui connaissent les langues anciennes, l’hébreu et
le grec, peuvent lire la Bible dans le texte original, en puisant dans cette
immense richesse qui est inévitablement estompée ou même masquée par toute
traduction. Dans tous les cas, une bonne traduction, ou une traduction
confrontée à d’autres, satisfera la nécessité de partir d’une base solide. Il
peut être utile, du point de vue spirituel, d’utiliser certains instruments :
les concordances font partie de ceux qui sont fondamentaux ou, si on lit un
évangile, la synopse.
Si l’on fait la
lectio divina dans sa chambre, dans la plus parfaite solitude, qu’on lise à
haute voix, de manière à écouter physiquement ce qui est lu : l’écoute est déjà
prière, elle est déjà accueil en soi de la parole et donc de la présence de
Celui qui parle.
- Méditer
La méditation ne doit pas être
entendue dans le sens d’une méditation introspective de type ignatien ou comme
une auto-analyse psychologisante. Elle est par contre un approfondissement du
sens du texte lu ; dans cette opération d’approfondissement peuvent intervenir
des instruments d’étude, de consultation, donc des dictionnaires bibliques, des
commentaires, etc. On pourra aussi se référer aux notes de bas de page
(présentes dans les «grosses Bibles») et aux références mentionnées en marge du
texte.
Certes, la lectio divina ne doit pas
être confondue avec l’étude d’un texte biblique ; cela dit, l’étude peut et
doit trouver sa place dans la lectio divina. Il s’agit en effet de dépasser
l’altérité du texte, la distance qui nous sépare de ces textes écrits il y a
longtemps dans des langues et des contextes culturels extrêmement différents
des nôtres. Il faut prendre au sérieux cette altérité du texte pour ne pas
risquer de tomber dans le subjectivisme et pour ne pas faire dire au texte ce
que celui-ci n’a jamais voulu dire.
Dans la meditatio, on doit tendre à faire émerger la
pointe théologique du texte, son message central, ou à tout le moins son aspect
marquant. Ainsi commence le dialogue entre la personne et le texte, l’interaction
entre la vie du lecteur et le message du texte. C’est à ce moment que, de façon
naturelle, naît la prière.
- Prier
Le mouvement de dialogue qui
s’instaure entre le lecteur et le texte devient un échange priant où le croyant
s’adresse à Dieu en lui disant «tu». À ce stade, c’est évident, il n’y a pas
d’indication précise à donner, si ce n’est l’exhortation à se rendre docile à
l’Esprit et à la Parole écoutée.
Cette Parole façonne en effet la
prière en l’orientant dans le sens de l’intercession ou de l’action de grâce ou
de la supplication ou de l’invocation. Il peut arriver que la prière s’exprime
simplement par un silence d’adoration, voire qu’elle se manifeste comme le don
joyeux des larmes de componction.
Mais il est nécessaire de rappeler
aussi que la lectio divina reste parfois dans l’aridité du
désert : le texte résiste à nos efforts de compréhension, la Parole reste
muette, et notre prière ne jaillit pas davantage. Dans une relation
authentique, cela peut aussi se produire, ces moments existent, et la relation
avec le Seigneur n’en est pas exempte. Le Seigneur nous appelle à sortir dans
le désert pour le rencontrer, et parfois le désert ne devient pas lieu de
rencontre, mais bien plutôt espace aride et épuisant. Pourtant, même alors, il faut
persévérer, tenir, offrir son corps sans voix dans une prière muette. Le
Seigneur sait discerner même le désir de la prière.
L’efficacité de l’assiduité avec la
Parole de Dieu dans la lectio divina, quoi qu’il en soit, se mesure
sur le long terme. L’exercice de l’écoute crée dans le croyant un espace pour
accueillir le Seigneur, et la parole accueillie régénère le croyant pour faire
de lui un enfant de Dieu (cf. Jean 1,12) : elle le rend capable de
contemplation.
- Contempler
La contemplation est alors le
dernier «degré» de cette échelle idéale. Le croyant se sent visité par la
Présence de Dieu et il connaît la «joie indicible» (1 P 1,8) de cette
inhabitation. La contemplation ne désigne pas un état d’extase et elle ne fait
allusion à aucune «vision», mais elle indique la conformation progressive du
regard de l’homme à celui de Dieu. Elle indique ainsi l’acquisition d’un esprit
de reconnaissance et de compassion, de discernement, de patience et de paix.
Comme la Parole tend vers l’Eucharistie, de même la lectio divina façonne
progressivement un homme eucharistique, capable de gratitude et de gratuité, de
discernement de la présence du Seigneur dans l’autre et dans les différentes
situations de l’existence. Cet homme sera aussi un homme de charité, capable
d’agapé. En un mot, la lectio divina débouche sur la vie : elle manifeste sa
fécondité dans la vie d’un homme.
La lectio divina dessine de cette
façon une parabole de la prière à la prière : elle avait commencé par
l’invocation de l’Esprit, elle aboutit maintenant à la contemplation, la
reconnaissance, la louange. La lectio divina tend à l’eucharistie.
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Cette méditation a été composée
à partir de l'article d'Enzo
Bianchi :
"La lectio divina - Fondements
et pratiques",
extrait du Sources Vives n°113 :
Prier la Bible (épuisé)