Le pape dérange. Lorsqu’il se contentait de critiquer les comportements de la Curie, les catholiques l’applaudissaient. Mais quand, dans l’encyclique "Laudato si", comme lors de son déplacement en Amérique latine, il dénonce une « économie qui tue » et un système qui « continue de nier à des milliers de millions de frères les droits économiques, sociaux et culturels les plus élémentaires », il commence à faire, ici ou là, grincer des dents.
Il va trop loin, murmure-t-on dans certains milieux, notamment
aux États-Unis, où on le surnomme d’un condescendant « pape de la
Pampa ». Attaque trop facile, qui voudrait un peu vite attribuer tout
ce que ce discours a de fort aux racines du pape. En bref, ce pape resterait
trop marqué par son Amérique latine d’origine : ce qui est peut-être bon pour
ce sous-continent ne saurait s’appliquer en Occident, disent-ils, où la réalité
serait plus complexe, et les inégalités sociales moins criantes.
François, comme il l’a bien dit lui-même, ne sort pas de la
doctrine sociale de l’Église la plus classique. Voilà longtemps que celle-ci
dénonce un libéralisme qui s’autorégulerait, et affirme qu’il y a, au-dessus de
la propriété privée, le droit à une juste attribution des biens universels, et
à la dignité de chaque homme. Mais il est vrai que son expérience pastorale
dans l’une des mégalopoles les plus injustes du monde donne à ce discours une
force particulière. Surtout, ce pape venu du Sud martèle avec raison que le
monde est devenu global : « L’interdépendance planétaire requiert des
réponses globales aux problèmes locaux », a-t-il déclaré en Bolivie.
L’Europe n’est pas plus à l’abri des drames du monde que les autres, comme la
tragédie des migrants le rappelle chaque jour.
Dans cette critique, le pape François reconnaît que l’Église n’a
pas le monopole de la vérité. Il répète aussi qu’il ne s’agit pas d’avoir un
discours idéologique, mais de partir de la condition réelle des hommes et des
femmes, dont l’Église du Christ ne saurait s’extraire. Au fond, dans un monde
où l’économie peut asservir des hommes et défigurer la planète, demander une
conversion radicale n’est pas une utopie. C’est juste faire preuve de réalisme.
Isabelle de Gaulmyn
Source : Journal "La Croix" du 24 juillet 2015