Aux yeux du pape François, le Jubilé extraordinaire de la
miséricorde doit servir de chemin de « conversion spirituelle » pour
son Église en réforme.
1/POURQUOI UN JUBILÉ DE LA MISÉRICORDE ?
Le pape François avait créé la surprise le 13 mars 2015, en
annonçant un Jubilé extraordinaire de la miséricorde au deuxième anniversaire
de son pontificat. Le pape veut une Église miséricordieuse, c’est-à-dire témoin
de la miséricorde de Dieu pour le monde et, pour cela, il encourage chaque
chrétien à cultiver en soi cette attitude du cœur. « C’est un chemin
qui commence par une conversion spirituelle ; et nous devons faire ce
chemin », expliquait-il.
Premier à entamer cette démarche, il franchit mardi 8 décembre
la porte sainte de la basilique Saint-Pierre à Rome (en présence du pape
émérite Benoît XVI), même s’il a symboliquement ouvert en premier lieu
celle de Bangui, la capitale centrafricaine, le 29 novembre.
Les évêques du monde entier ouvriront à leur tour des portes
saintes dans leurs diocèses, ce dimanche. Toute l’année jusqu’au
20 novembre 2016, les catholiques seront invités à les passer, dans une
démarche de pénitence et de rapprochement avec le Christ. Aux yeux du pape,
l’Année sainte doit servir de chemin de « conversion spirituelle » pour
son Église en réforme. Une conversion à la lumière du concile Vatican II,
dont ce Jubilé promeut aussi l’héritage.
Au-delà de l’Église, la miséricorde est aussi nécessaire à un
monde que le pape voit partout en guerre, « à la limite du
suicide ». Soulignant à quel point le monde « se débat » avec
la question du mal, le cardinal Georges Cottier, théologien de
Jean-Paul II, explique dans un entretien à I.Media combien « la
miséricorde émerge comme une réponse face au mal que l’on ne comprend pas
toujours ». Après les attentats de Paris, le Vatican a jugé plus
nécessaire encore la démarche jubilaire.
2/ QU’EST-CE QUE LA MISÉRICORDE N’EST PAS ?
L’apanage du christianisme. Dans la tradition
juive, les psaumes célèbrent la miséricorde divine. Le
« miséricordieux » est également l’un des noms de Dieu le plus
fréquemment utilisés par les musulmans.
Un mot dépassé. On lui préfère souvent
aujourd’hui la compassion ou la bienveillance. Néanmoins, la miséricorde a été
remise au goût du jour par Jean-Paul II, avec la Fête de la Divine
miséricorde, puis par le pape François, qui l’a inscrite dans sa devise (à
l’origine épiscopale) signifiant par là qu’il se définit comme pécheur.
Qu’une histoire de péché. Si dans le Catéchisme
de l’Église catholique, l’entrée « Miséricorde » figure
uniquement dans l’article consacré au péché, dans le Compendium de 2005, en
revanche, elle apparaît aussi dans les chapitres sur les sacrements de
guérison, sur le Notre Père, ou dans les parties consacrées à la Vierge Marie, « Mère
de Miséricorde », et les œuvres de miséricorde.
Un concept mièvre. La miséricorde n’est pas un
signe de faiblesse, affirme le pape dans sa bulle Misericordiae vultus.
Il s’appuie sur la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin, selon
lequel « la miséricorde est le propre de Dieu dont la toute-puissance
consiste justement à faire miséricorde ».
3/ QU’EST-CE QUE LA MISÉRICORDE ?
Le mot vient du latin misèreor (« j’ai
pitié ») et cor (« cœur »). On la compare
souvent à la compassion, dont le sens latin est semblable : cum patior (« je
souffre avec »). Même si l’on attribue avant tout la miséricorde à Dieu,
le pape en fait une définition très incarnée, « une réalité concrète à
travers laquelle Il révèle son amour comme celui d’un père et d’une mère qui se
laissent émouvoir au plus profond d’eux-mêmes par leur fils ». Le pape
va jusqu’à parler d’un amour « viscéral », qui vient du cœur
comme « un sentiment profond, naturel, fait de tendresse et de
compassion, d’indulgence et de pardon ».
Elle se manifeste à travers des œuvres décrites
pour la plupart dans le Nouveau Testament. Des œuvres « corporelles » – vêtir
celui qui est nu ; donner l’hospitalité ; visiter les malades et les
prisonniers ; nourrir ceux qui ont faim ; donner à boire à ceux qui ont soif ;
ensevelir les morts – déclinées aussi sous une forme « spirituelle » :
instruire les ignorants ; prier pour le prochain ; consoler les affligés ;
reprendre les pécheurs ; supporter le prochain ; conseiller son prochain dans
le doute ; pardonner les offenses.
4/ COMMENT SE DÉROULE UN JUBILÉ ?
Le Jubilé est appelé « Année sainte » car c’est un moment qui
encourage la sainteté de vie. Le passage de la porte sainte évoque « le
passage que tout chrétien est appelé à effectuer du péché à la grâce ».
Dans ce but, une indulgence – c’est-à-dire, selon le droit
canonique, « la rémission devant Dieu de la peine temporelle due pour les
péchés dont la faute est déjà effacée » – est accordée aux fidèles.
Les conditions d’obtention de ce don seront précisées ce 8 décembre, mais
l’indulgence s’obtient généralement par la visite de lieux saints, la prière à
certaines intentions, la participation à la messe et le sacrement de
réconciliation.
Le pape a souhaité mettre un accent fort sur cette dimension de
pardon. C’est pourquoi il a décidé de l’envoi de « missionnaires de la miséricorde
» dans les diocèses, à partir du début du Carême. Il a autorisé
exceptionnellement les prêtres à absoudre des péchés réservés d’habitude au
Siège apostolique en raison de leur gravité, notamment l’avortement.
5/ À QUI S’ADRESSE L’ANNÉE SAINTE ?
À tous les catholiques et pas seulement aux pèlerins qui feront
le voyage à Rome : pour la première fois dans l’histoire des jubilés, celui-ci
est entièrement décentralisé. Le signe le plus manifeste en sera l’ouverture,
dimanche, des portes saintes dans toutes les cathédrales du monde. Le pape a
d’ailleurs montré l’exemple à Bangui.
Quel que soit le lieu, ce Jubilé veut montrer la générosité
d’une Église qui n’exclut personne : les femmes ayant vécu le drame de
l’avortement, mais aussi ceux et celles qui vivent le drame de la prison et que
le pape a invité à franchir le seuil de leur cellule comme s’ils traversaient
une porte sainte... Il s’adresse aussi « aux hommes et aux femmes qui font
partie d’une organisation criminelle », comme la mafia, et aux personnes «
fautives ou complices de corruption » afin qu’elles se détournent de
leur conduite.
Le Jubilé s’accompagne par ailleurs d’un geste particulier
envers la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X : aller se confesser auprès d’un
prêtre lefebvriste sera valable durant toute l’Année sainte. Celle-ci doit aussi
servir à se rapprocher des juifs et musulmans, dont la miséricorde, rappelle le
pape, est également au centre de la foi. Il ira ainsi à la synagogue de Rome en
plein Jubilé.
Charles de Pechpeyrou, Sébastien Maillard (à Rome) et Gauthier
Vaillant
Source : Journal "La Croix" du 8 décembre
Source : Journal "La Croix" du 8 décembre