dimanche 20 décembre 2015

Pour se mettre en route vers les "Déambulations Mystiques" du 9 au 13 mars, un temps de méditation et orgue à la Cathédrale Saint-Pierre






Sylvie Mallet à l'orgue 
a interprété magnifiquement 
des oeuvres de Bach, 
Buxtehude et César Franck.



Alors que Dominique Leprêtre
nous présentait
4 mystiques




Etty Hillesum

Au seuil de ce parcours, arrêtons-nous  au témoignage d’une jeune femme juive du XXè siècle, Etty Hillesum ( 1914- 1943). Sous la forme d’un journal intime, elle raconte la découverte de sa vie intérieure, et l’effet de cette spiritualité, nouvelle pour elle, ds un temps historique dramatique marqué par la souffrance de tout un peuple.  Le journal est en effet écrit de 1941 à 1943 aux Pays-Bas. En
Nous  suivons Etty, pas à pas, jour après jour, dans le développement de sa quête balbutiante de spiritualité et d’intériorité.  Bien que juive, Etty Hillesum n’était pas pratiquante ; elle devra donc puiser çà et là afin de trouver les mots  qui rendent compte au plus juste de son expérience .
Enfin, et ce n’est pas la moindre saveur de ce journal, on peut y voir la réalité spirituelle se mêler à tt un quotidien fait de passions amoureuses assez compliquées, d’amitiés, d’engagements politiques, ou en cor de problèmes matériels triviaux…
La spiritualité n’est pas coupée des autres dimensions de la personne.

Quelques extraits où Etty nous livre sa découverte d’un Dieu toujours plus intime à l’être humain…

« Il y a en moi un puits très profond. Et dans ce puits, il y a Dieu. Parfois je parviens à l’atteindre.  Mais plus souvent, des pierres et gravats obstruent ce puits, et Dieu est enseveli. Alors il faut le remettre au jour. Il y a des gens, je suppose, qui prient les yeux levés vers le ciel. Ceux-là cherchent Dieu en dehors d’eux. Il en est d’autres qui penchent la tête et la cachent dans leurs mains, je pense que ceux-ci cherchent Dieu en eux-mêmes » «  Etre à l’écoute de soi-même ; se laisser guider par une urgence intérieure… »

Mais Etty , qui se dit à présent croyante,  sait que son départ pour les camps est imminent ; alors Dieu se découvre à elle dans sa dimensions de faiblesse…Dieu n’est plus envisagé comme le Tout Puissant, qui pourrait transformer la situation extérieure et rétablir la justice et le droit bafoués, il est le Dieu souffrant avec les hommes, partageant leurs misères et leurs épreuves.
Etty fait alors cette prière :

« Je  vais t’aider, mon Dieu, à ne pas t’éteindre en moi, mais je ne puis rien garantir d’avance. Une chose m’apparait de  plus en plus claire : ce n’est pas toi qui peux nous aider, mais nous qui pouvons t’aider – et ce faisant, nous nous aidons  ns –mêmes. C’est tout ce qu’il nous est possible de sauver en cette époque et c’est aussi la seule chose qui compte  : un peu de toi en nous, mon Dieu. Peut-être pourrons-nous aussi contribuer à te mettre au jour dans les cœurs martyrisés des autres ».



 GREGOIRE DE NAZIANZE


Grégoire de Nazianze :  IVème s ; évêque et docteur de l’Eglise ; grd ami de St Basile ;  nommé évêque, malgré lui, de Sasima, puis de Constantinople , en pleine crise arienne…Fatigué de lutter, il se retire dans sa Cappadoce natale où il meurt vers 390.

Avec  Grégoire entrons dans l’obscurité de la foi…
« L’obscurité même de la foi est une  preuve de sa perfection, disait Thomas Merton.  Ellle est obscure pour nos esprits parce ce qu’elle dépasse infiniment leur faiblesse. Plus la foi est parfaite, plus elle devient obscure. Plus nous approchons de Dieu, moins notre foi se dilue dans la demi-lumière des images et des concepts créés. Notre certitude croît avec cette obscurité… »
En ce début de parcours, entrons  dans cette obscurité…Osons dépasser notre théologie trop rationnelle , pour une théologie respectueuse du mystère divin, qui se vit essentiellement dans la louange et l’adoration.  Entrons dans la voie mystique en marchant à la suite des 1ers Pères de l’Eglise, pour qui théologie et prière étaient intimement liées : l’adoration, où nous nous plaçons devant Dieu en état de réceptivité permet seule de ne pas enfermer Dieu dans des concepts ou dans les filets du langage.
Entrons dans cette théologie « priante »avec l’hymne bien connu de Grégoire de Nazianze,  utilisé dans nos liturgies :

« O toi, l’au-delà de  tout,
Comment t’appeler d’un autre nom ?/ Quel  hymne peut te chanter ?
Aucun mot ne t’exprime. / Quel  esprit peut te saisir ?
Nulle intelligence ne te  conçoit ./ Seul tu es ineffable 
tout ce qui se dit est sorti de toi. / Seul tu es inconnaissable ;
Tout ce qui se pense est sorti de toi. / Tous les êtres te célèbrent ,
Ceux qui parlent et ceux qui sont muets./ Tous les êtres te rendent hommage,
Ceux qui pensent comme ceux qui ne pensent pas.
L’universel désir, le gémissement de tous tend vers toi. Tout ce qui existe te prie
Et  vers toi, tout être qui sait lire ton univers, fait monter un hymne de silence.
En toi seul tout demeure./ En toi, d’un même élan, tout déferle.
De tous les êtres, tu es la fin ./ Tu es unique .
Tu es chacun et tu n’es aucun./Tu n’es pas un être seul, tu n’es pas l’ensemble :
Tu as tous les noms ; comment t’appellerais-je,/ Toi, le seul qu’on ne peut nommer ?...
Aie pitié de moi, ô toi, l’au-delà de tout:/ comment t’appeler d’un autre nom ? »




RUMI


De l’avènement de Charlemagne (771) à l’avènement de St Louis (1226) l’Islam  s’étend de l’Inde à ll’Andalousie. Cette conquête guerrière s’accompagne, spécialt en Perse, d’une exceptionnelle floraison spirituelle , mystique.
La mystique musulmane a su réaliser une fervente synthèse en tre l’héritage de la philosophie grecque, la rigueur monothéiste du Coran et l’expérience amoureuse de l’intimité divine, même si  ce dernier trait a souvent placé ces spirituels en marge de l’orthodoxie officielle.
La mystique chrétienne de Syrie, de Cappadoce et la mystique musulmane se sont influencées ; ont pris des chemins de convergence….Ici et là, une recherche passionnée de Dieu dans la prière et par l’ascèse débouche sur une expérience lyrique et mystique indéniable…
En mystique musulmane, la tradition soufie tient sans doute une très grande place…
Qu’est-ceque le soufisme ? …Une école de spiritualité dont les membres, souvent regroupés en confréries et habillés de laine (souf),  se  livraient aux  prières, non seulement prévues par le Coran, mais encore à des séances de prières communes favorisées par la musique et la danse.

Les écrits des mystiques musulmans sont souvent d’un lyrisme capiteux,  vantant le charme du vin, des parfums et de la femme. Derrière cette imagerie, voisine du Cantique des Cantiques, s’exprime la joie de la présence divine, subtile comme un parfum, enivrante comme un nectar, comblante comme une épouse.
Cependant, se dégage de ces poésies mystiques une certaine tristesse : celle de l’absence ;  Nostalgie, nostalgie de Dieu, souvenir constant de l’aimé et espoir de le revoir….Cette nostalgie est une note dominante de la mystique musulmane   Nostalgie du croyant,  nostalgie du Créateur….

Ecoutons le très grand poète musulman  RUMI  (1207- 1273) (originaire d’Afghanistan) nous l’exprimer sous l’image de la plainte de la flûte de roseau…

Plainte de la flûte de roseau
Ecoute mon roseau désespéré
qui exhale, depuis qu’il fut coupé
A la jonchaie, des accents
Passionnés d’amour et de douleur.

Le secret de mon chant est si proche,
Mais personne ne le peut voir, et personne l’entendre.
Oh ! qui me donnera  un ami pour connaître le signe
Et mêler son âme à la mienne !

C’est la flamme de l’amour qui m’a embrasé !
C’est le vin de l’amour qui m’a inspiré.
Veux-tu savoir comment craignent ceux qui aiment ?
Ecoute, écoute la voix du roseau.

« J’ai demandé à la flûte : « De quoi te plains-tu ?
Comment peux-tu gémir sans avoir de langue ? »
La flûte m’a répondu : « On m’a séparé du roseau :
Je ne peux plus vivre sans gémir et me lamenter. » 


SAINT  FRANCOIS  D'ASSISE  
( 1186 – 1226)



Nous avions ouvert cette présentation de la mystique par le témoignage d’Etty Hillesum, en plein cœur  des ténèbres de notre siècle, j’aimerais la terminer par le témoignage de St François d’Assise, le Poverello, qui  a su incarner, de façon très personnelle et intense, la voie mystique chrétienne. Celui qu’on a pu appeler « l’autre Christ » a vécu sa vie dans le dépouillement, le détachement de soi-même, en vue de suivre le Crucifié et d’être solidaire des plus pauvres des hommes
Saint François n’a que très peu écrit ; il n’a pas voulu « théoriser », domestiquer l’Esprit sous l’impulsion duquel il vivait. En cela , il est réellement « mystique »…
Saint François n’a que très peu vécu ; rejoignons-le lorsqu’il est déjà aux portes de la mort ; François est  très faible, il sait qu’il va mourir et demande à être reconduit à la Portioncule, là où il avait fondé sa première petite fraternité.
Arrivé à la Portioncule, il compose son texte le plus célèbre, le Cantiques des créatures »
   N’oublions pas que celui qui chante ce chant d’admiration face à la création est terriblement souffrant, quasiment aveugle, sur son lit de mort !          On a fait de nos jours, de ce Cantique des Créatures une sorte d’hymne écologique d’exaltation du sentiment de communion  avec la nature…C’est beaucoup plus ;  Dans ce Cantique, François, totalement dépouillé,  peut désormais appréhender le monde sans arrière pensée, tel qu’il apparait dans sa beauté,  sans aucune volonté d’appropriation, de possession ou de domination…

« Très haut, tout puissant et bon Seigneur
A toi louange , gloire, honneur et toute bénédiction
A toi seul ils conviennent ô Toi Très haut
Et nul homme n’est digne de te nommer.
Loué sois-tu, Seigneur, avec toutes tes créatures
Spécialement messire frère Soleil
Par qui tu  nous donnes le jour, la lumière
Il est beau, rayonnant d’une grande splendeur
Et de toi, le Très Haut, il nous offre le symbole.
Loué sois-tu mon Seigneur pour sœur Lune et les Etoiles
Dans le ciel tu les as formées claires, précieuses et belles.
Loué sois-tu mon Seigneur pour frère Vent,
Et pour l’air et pour les nuages
Pour l’azur calme et tous les temps
Grâce à eux tu maintiens en vie toutes les créatures.
Loué sois-tu mon Seigneur pour sœur Eau
Qui est très utile et très sage*
Précieuse et chaste.
Loué sois-tu mon Seigneur pour frère Feu
Par qui tu éclaires la nuit,
Il est beau et joyeux,
Indomptable et fort.
Loué sois-tu mon Seigneur pour sœur notre mère la Terre
Qui nous porte et nous nourrit,
Qui produit la diversité des fruits
Avec les fleurs diaprées et les herbes(…)
Loué sois-tu mon Seigneur pour ceux qui pardonnent Par amour pour toi(…)
Loué sois –tu mon Seigneur pour notre sœur, la Mort corporelle(…)
Louez et bénissez mon Seigneur, rendez-lui grâce et servez-le en toute humilité ».

François meurt le 3 oct 1226 , à l’âge de 44 ans.






Créée il y a 2 ans, l'association Les Déambulations Mystiques souhaite faire découvrir cette recherche de l'essentiel qui se retrouve dans toutes les religions, et s'exprime le plus souvent par les arts et la littérature.

Thérèse d'Avila, Jean de la Croix, Marthe Robin… Ces figures emblématiques du catholicisme ont laissé un témoignage fort et puissant, toujours d'actualité, par leur vie d'ascèse entièrement tournée vers la quête absolue de Dieu. Ce sont, par définition, des mystiques.

Dans une société déchristianisée, avec toutes les dérives sanglantes commises dans le monde au nom des religions, le terme de mystique a tendance à être mal perçu. " Les gens ont une vision confuse, reconnaît Sylvie Germain. Soit elle attire, soit elle répulse. Pourtant, le mysticisme, en tant que mouvement, a toujours existé et cohabité avec toutes les religions ", rappelle le célèbre écrivain, présidente de l'association Les Déambulations Mystiques.

" Le cœur de la vie mystique, c'est la recherche éperdue de Dieu. C'est quelque chose de très intime, de très profond, explique le père Denis Trinez de la Fraternité Trinitaire. Ce sont des gens très proches de la vie, humains et réalistes, parce qu'ils creusent au plus profond de notre humanité ".

Cette quête infinie de Dieu, les mystiques la traduisent en langage poétique ou artistique, seuls vecteurs de communication qui, loin de les enfermer dans un corpus rigide, leur donnent la latitude pour exprimer cet ardent désir d'union avec Dieu, cette attente de Dieu, mais aussi ce sentiment de doute, d'absence, qui peut les assaillir.

L'association Les Déambulations Mystiques est née de la rencontre entre la femme de lettres et le prêtre de la Fraternité trinitaire. " Au fil de nos échanges, nous nous sommes interrogés : comment faire des ponts entre la foi et la culture ? Comment sortir de nos églises et aller à la rencontre du monde ", raconte le père Denis Trinez. Progressivement, l'idée s'est mise en place de créer un espace d'échange et de dialogue et de l'ouvrir à toutes les religions.

Depuis plus de deux ans, une vingtaine de personnes de toutes confessions se réunit régulièrement à Angoulême autour du projet de faire découvrir au plus grand nombre la pensée de grands mystiques et la variété des courants dans le christianisme, mais aussi dans l'Islam avec le soufisme ou dans le judaïsme avec le hassidisme. " Le mysticisme ouvre les yeux autrement sur des questions essentielles, métaphysiques. En ce sens, la mystique rejoint beaucoup de nos contemporains ", souligne le père Denis Trinez.

Pour éclairer sur le mysticisme et contrecarrer les idées reçues, l'association Les déambulations Mystiques propose du 9 au 13 mars 2016 des animations à Angoulême. " Les vrais mystiques ont les pieds sur terre, ils ont toujours le souci de partager quelque chose de cette joie intuitive en Dieu. C'est l'occasion de parler de Dieu à la foi en parlant des religions et en s'en dissociant ", précise Sylvie Germain.

Ces rencontres Mystiques & Liberté, sous le parrainage de Charles Juliet, Michaël Lonsdale et Jean-Claude Guillebaud, permettront d'aborder les courants mystiques des trois religions monothéistes. À travers la musique, la peinture, des icônes, des conférences, et un film, l'association souhaite montrer que le mysticisme qui s'exprime de façon très personnelle et singulière ne renie pas un héritage religieux et permet de s'ouvrir au monde.

" La mystique s'inscrit à l'intérieur de la culture, de la religion, dans laquelle on a grandi ; il y a, de fait, des courants différents dans leur expression, mais ce qui nous intéresse c'est ce qu'il y a de commun dans cette démarche ", conclut Sylvie Germain.


Laetitia THOMAS
article paru dans "Le courrier Français"