Chers frères et sœurs,
Que mes cordiales et fraternelles salutations vous rejoignent, vous tous membres de la Famille trinitaire.
L’urgence prolongée due à la pandémie met à rude épreuve notre vie, nous oblige à revoir et à reformuler nos programmes, nous impose une restriction pesante de nos libertés fondamentales, alimente insécurité et peur face à l’avenir. Cette urgence sanitaire rejoint dorénavant des pays jusqu’ici épargnés par la pandémie comme Madagascar, qui non seulement fait face à une extension rapide de la pandémie mais aussi aux manques de moyens médicaux nécessaires. Dans d’autres pays comme le Brésil et l’Inde, on parle désormais de catastrophe humanitaire, avec cet inacceptable décompte des morts quotidiens.
Tout ceci nous fait comprendre notre besoin essentiel de ne pas nous sentir seuls. Cette situation a fait grandir notre désir de communion, de partage, se concrétisant en de nouvelles modalités jusqu’ici peu pratiquées. Maintenons vif ce feu de la communion fraternelle qui nous permet d’affronter chaque difficulté et de témoigner de l’Evangile selon le charisme rédempteur de St Jean de Matha. Notre première mission est la communion fraternelle, laboratoire d’écoute, de compréhension, d’aide mutuelle, par laquelle chaque jour nous apprenons à « porter les fardeaux les uns des autres » (Gal 6, 2). La communion fraternelle n’est pas une simple stratégie humaine, comme semble le suggérer la devise « L’union fait la force ». Les stratégies humaines nous portent à l’illusion que l’unité recherchée s’édifie sur nos seuls efforts. Nous savons bien, cependant, que sa source pérenne est le mystère de la Très Sainte Trinité, Principe et Source d’unité et de paix. « On ne peut comprendre la communauté religieuse sans partir de cette réalité qu'elle est un don d'En-Haut, sans partir de son mystère, de son enracinement dans le cœur même de la Trinité sainte et sanctifiante, qui la veut insérée dans le mystère de l'Eglise pour la vie du monde».(1)
Quand la communion fraternelle se construit sur le sable de nos habilités et stratégies humaines, elle est destinée à s’effondrer devant les tempêtes de la vie. Combien de fausses communions tentons-nous de vivre dans nos relations humaines ! Je n’en cite que quelques-unes : la complicité (expression de l’opportunisme), la vie tranquille (l’indifférence), la confusion. La complicité est cette forme de communion qui s’édifie sur un objectif humain commun qui, quand il est atteint, s’évanouit. Cette communion est fondée sur la coïncidence précaire des intérêts personnels et égoïstes qui, de plus, amène à identifier un « ennemi commun » dont il faut se défendre.
Il y a une autre attitude dommageable à la construction de la vraie fraternité : la vie tranquille. Elle est pratiquée par celui qui croit que, pour être en paix avec tout le monde, il est nécessaire d’éviter le conflit et l’affrontement. On en arrive alors à amoindrir le dialogue sincère qui seul peut aider à renforcer les liens de fraternité sérieusement affectés par nos limites et les lourds silences qui ont le goût de la fermeture et de la résignation. La troisième forme de fausse communion est la confusion qui se vérifie quand règne le manque de règles, quand il n’y a pas de points de référence sûrs, quand tout est discutable, quand les rôles de chacun ne sont pas respectés, quand on ne veut pas assumer sa responsabilité pour la construction de la fraternité authentique. Respect et responsabilité envers l’autre sont les deux piliers sur lesquels se fonde un vrai projet de fraternité.
Nous devons reconnaître le primat de la communion fraternelle. Nous ressentons tous, particulièrement en ces temps-ci, une profonde nostalgie du « nous » qui doit se transformer en un engagement renouvelé pour construire partage fraternel et vrais liens de solidarité e d’accueil réciproque. La communion fraternelle soit être toujours plus le critère de chaque action, initiative, engagement.
Nous devons toujours nous demander si les initiatives que nous portons sont une aide et un soutien à la fraternité ou en sont un obstacle. Les projets, mêmes méritoires, mais fondés sur des protagonismes solitaires, ne durent pas.
La Famille trinitaire est vraiment riche par la présence de nombreuses formes de consécration religieuse et laïque qui s’inspirent de St Jean de Matha et qui vivent la communion fraternelle selon leur modalité propre. Cette variété est une richesse si elle garde en soi une unité profonde et si aucune expression particulière du charisme ne s’enferme dans une autoréférence stérile. Le charisme trinitaire n’est pas une propriété exclusive mais un don à partager en famille pour le bien de tous. Il me vient à l’esprit l’image de cercles concentriques qui se forment quand nous jetons une pierre dans l’eau. Vivre la communion à l’intérieur de sa propre fraternité laïque ou de sa communauté religieuse aide à la vivre dans la Famille trinitaire, et donc dans l’Eglise et jusqu’à embrasser le monde entier. Notre consécration et notre mission doivent avoir cette marque universelle. L’aspect missionnaire est la respiration de la fraternité.
Il n’est pas superflu de rappeler que la communion fraternelle est un des défis indiqués par le Chapitre Général de 2019. Dans le document final, on notera un passage particulièrement éclairant que je rapporte ici : « Nous avons aussi exprimé un rêve pour l’Ordre et la Famille trinitaire : devenir toujours plus ‘Maison de la Très Sainte Trinité’ dans laquelle la Famille grandit en unité et identité, sans complexe, s’engageant avec joie et force dans la mission rédemptrice. »
L’accueil des vocations et la formation trouvent dans la dimension communautaire leur plus forte impulsion. Le témoignage de notre vie fraternelle est la source la plus autorisée et la méthode la plus efficace de la formation.
Les nombreuses initiatives pour les vocations, qui grâce à Dieu ne manquent pas, ne servent à rien si ensuite il n’y a pas de communauté qui sache accueillir, soigner, faire croître. Chaque communauté formative doit pouvoir compter sur l’engagement de tous afin que partout, dans les communautés et les fraternités, on respire cet air de famille et d’accueil authentique. Je renouvelle mon appel sincère à intensifier la prière pour les vocations religieuses et sacerdotales. Le manque de jeunes religieux, que l’on constate dans les juridictions les plus anciennes de l’Ordre, a des répercussions notables sur la vie communautaire et sur notre témoignage de vie.
Parfois nous faisons l’expérience de la fatigue et du découragement sur le chemin de la vie fraternelle. Le Seigneur nous donne la force de ne pas céder au pessimisme et à l’inconfort. C’est particulièrement en ces moments là que nous devons croire que la communion est un don de Dieu qui est confié à notre attention et à la disponibilité de nous laisser régénérer par le pardon, quand le mal nous affecte. Que l’attitude du Bon Samaritain soit notre boussole pour garder le don de la fraternité, qu’il soit le paradigme de nos projets de vie communautaire. Comme pour l’homme blessé de la parabole évangélique, que l’huile de la consolation et le vin de l’espérance ne manquent jamais dans nos fraternités.
La fête de la Très Sainte Trinité, que nous célèbrerons bientôt, est aussi le moment du renouvellement de notre consécration. Fidélité, persévérance et fraternité se soutiennent mutuellement.
Confions à la Sainte Trinité notre humble engagement afin que nos communautés religieuses et nos fraternités laïques soient de petites icones de la communion divine, petites semences d’espérance dans un monde en proie aux luttes, aux désaccords et aux divisions.
Nous nous confions à la protection de nos Saints et, en cette année dédiée à St Joseph, demandons son intercession pour vivre avec joie notre consécration.
Je vous assure de ma prière et de ma bénédiction !
Rome, le 9 mai 2021
VIème dimanche de Pâques
Fr. Luigi Buccarello O.SS.T.
Ministre Général
[1] CONGREGATION POUR LES INSTITUTS DE VIE CONSACREES ET LES SOCIETES DE VIE APOSTOLIQUE, Instruction Congregavit nos Christi in unum amor, n. 8.